Le gouvernement du Québec a aujourd’hui introduit à l’Assemblée nationale le projet de loi 9, qui, parmi d’autres mesures bornées et illibérales, étend l’application du code vestimentaire anti-religieux aux écoles privées subventionnéees, ainsi qu’aux garderies et aux universités. Ces institutions en étaient jusqu’ici exemptes. J’ai déjà dit ici ce que je pense de ces mesures lorsqu’on a commencé à en parler. Je ne me répèterai pas trop.
J’aimerais plutôt partager un texte que j’ai écrit il y a plus de douze ans, en 2013, quand on ne faisait que commencer à parler de ces foutus codes vestimentaires avec le projet d’une « charte de laïcité », alias Charte de la honte, véhiculée à l’époque par le parti québécois. Je pensais l’avoir publié ici, mais apparemment non. Alors voilà, un petit souvenir personnel à propos du religieux dans une école privée subventionnée, le Collège Jean-de-Brébeuf en l’occurence, où j’ai eu le privilège de passer sept ans — grâce en bonne partie à des bourses mises en place par les jésuites.
Ce qui passe pour le débat autour de la Charte de honte du Parti québécois m’a fait penser à feu le père Bourgeois aujourd’hui. Pour ceux qui n’ont pas eu le privilège de le connaître, Louis Bourgeois, s.j., père Bourgeois pour quelques générations de élèves et de collègues, était prof de physique, puis responsable du labo de physique à Brébeuf, ainsi que le concepteur de machines de Génies en herbe plutôt malfamées, maître de la station météo sur le toit du collège, et que sais-je encore. Il avait soixante-quinze ans quand je l’ai connu, et au moins cinq fois plus d’intensité que nous qui en avions quinze.
Le père Bourgeois ne portait pas de signe religieux ostentatoire ― il portait une blouse blanche. Mais il portait, même quand il n’était pas là, même maintenant qu’il n’est plus là, un titre ― un titre si collé à l’homme qu’il était plutôt un nom ― qui était, lui, on ne peut plus ostentatoire. Le père Bourgeois était et sera toujours le père Bourgeois. Il ne nous serait pas venu à l’esprit, je crois, d’omettre ce titre, de nous adresser à lui en l’appelant Monsieur Bourgeois, ou même de parler de lui à la troisième personne en ne l’appelant que par son nom, ce qu’on faisait pourtant avec (presque?) tous les professeurs, y compris ceux que nous aimions et respections beaucoup. Champagne. Éthier. Père Bourgeois.
Je ne sais pas pourquoi, au juste. Ce n’est pas que nous aimions ou respections beaucoup la religion. Peut-être avait-on une vague idée qu’il n’aurait pas été là, à soixante-quinze ans, sans sa vocation. Mais nous n’y pensions pas, je crois.
Et, à vrai dire, ce n’est pas que nous aimions beaucoup le père Bourgeois, à l’époque. Moi, en tout cas, j’avais plutôt peur de lui, peur de sa conviction, probablement justifiée mais plutôt ostentatoire, elle aussi, qu’un problème avec une expérience ne pouvait avoir été causé que par la bêtise ou l’incurie d’un élève, et jamais par un de ces diablotins qui causent des problèmes dans les labos. Il n’y avait pas de diablotins dans son labo à lui. Comme bien d’autres professeurs sévères, l’affection de ses élèves était rétroactive.
Toujours est-il nous savions, que nous ne pouvions ignorer l’appartenance religieuse du père Bourgeois. Or, l’époque, j’étais non seulement non-croyant, ce que je suis toujours, mais plutôt militant dans ma non-croyance. J’avais refusé, l’année précédente, d’apprendre le Symbole des apôtres, jugeant que le faire serait revenu à endosser une foi que je n’avais pas. (Grand bien m’a fait. L’accommodement raisonnable ― nous ne connaissions pas encore l’expression! ― que le prof de religion m’avait offert consistait à apprendre « Le crédo de l’optimiste ». Ce petit texte était la chose la plus idiote que j’avais jamais lue, mais, une fois campé sur mes principes, je ne pouvais plus reculer!) La même année que je conjurais les voltmètres pour échapper aux foudres du père Bourgeois, je faisais frémir le prof de religion avec les méchancetés que j’écrivais dans mes devoirs au sujet de la Bible et de la religion catholique.
Or, et j’en viens enfin à mon propos, je n’ai jamais, mais jamais soupçonné le père Bourgeois d’avoir été sévère avec moi ― et il l’a été à l’occasion, sévère et irritable ―ou d’avoir, plus généralement, manqué d’impartialité pour des raisons religieuses. Je n’y jamais pensé, je n’aurais jamais pu y penser. Selon la pensée qui sous-tend la Charte de la honte, j’aurais pourtant dû. L’appartenance religieuse du père Bourgeois était notoire et manifeste. Sauf qu’il n’y a, contrairement à ce que prétendent ceux qui défendent cette Charte, rien de naturel à douter de la bonne foi ― au sens séculier du terme! ― d’une personne à cause de sa foi religieuse. Contrairement à la loi des boucles et de la loi des nœuds, que j’ai, n’en déplaise au père Bourgeois, oubliées il y a bien longtemps, c’est une leçon qui va me rester longtemps.
Je n’ai pas grand chose à ajouter, si ce n’est de répéter ce que j’ai dit dans le billet auquel je renvoie ci-dessus : le Québec, en 2025, a beaucoup de problèmes en commun avec le reste du Canada et du monde occidental, mais « encore et encore, le Québec arrive à répondre à ses problèmes de façon singulièrement révoltante ». QED.

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