Ce qui compte

Que le projet de loi anti-religieux du Québec soit ou non raciste ou islamophobe est sans importance. Ce qui compte, c’est son illibéralisme

Dans le débat autour du Projet de loi 21, la législation mise de l’avant pour faire de la laïcité la doctrine religieuse officielle du Québec et pour imposer une tenue vestimentaire fondée sur ce dogme aux enseignants, juristes et policiers de la province, on consacre beaucoup d’attention à la question de savoir si ce projet est un reflet du racisme, de l’islamophobie ou d’une autre forme de discrimination. Ceux qui critiquent le projet de loi le disent souvent. Ceux qui le défendent, et même certaines personnes qui ne le font pas, s’en déclarent offusqués et insistent pour dire que la forme agressive de laïcité que le Québec cherche à imposer découle d’une vision politique fondée sur des principes. Or, il me semble que tout cela est sans importance. Que le Projet de loi 21 soit le produit de la discrimination ou de principes fondamentaux importe peu. Il est tout aussi abominable dans un cas comme dans l’autre.

Je dois dire que, personnellement, je me doute bien de ce que la xénophobie contribue, de façon plus que négligeable, au soutien politique dont bénéficie le Projet de loi 21. Sans une peur irrationnelle d’un « envahissement », des étrangers (réels ou supposées tels) qui « imposent leurs façons de faire » aux populations existantes (30, 50, voire 100 fois plus nombreuses), l’ambition des tenants de la laïcité dogmatique d’imposer leur croyance au Québec serait selon toute vraisemblance restée parfaitement théorique. Elle l’a été, après tout, des décennies durant, avant que cette peur ne fût gonflée suite à la décision de la Cour suprême dans Multani c Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 RCS 256, alias l’affaire du kirpan. On nous demande certes de nous rappeler la relation unique et troublante qu’a entretenue le Québec avec la religion (catholique), mais l’appui à la laïcité virulente était sans commune mesure avec son niveau actuel à une époque où, pourtant, la mémoire de cette relation était bien plus vive qu’elle ne l’est à présent. Cependant, quoi qu’il en soit en général, on devrait probablement être réticent à l’idée de lancer des accusations de xénophobie à des individus ― à moins, bien sûr, d’avoir des raisons spécifiques de le faire dans leur cas particulier.

Concentrons-nous donc sur les principes qu’on prétend justifier le Projet de loi 21. Présumons, pour les fins de l’argument, que ceux qui l’appuient croient réellement que, pour citer Christian Rioux dans Le Devoir, “the diversity of modern societies makes state secularism an increasingly unavoidable requirement. The pluralist societies are, more citizens demand that the state’s religious neutrality be beyond reproach” (translation mine here and below). Let us ignore the delightful irony of a man named Christian preaching secularism. Let us even avert our eyes from the sleight-of-hand involved in the equation of “state neutrality”, which as the Supreme Court explained in Mouvement laïque québécois v Saguenay (City), 2015 SCC 16, [2015] 2 SCR 3, “is required of institutions and the state, not individuals”, [74] with the “neutrality” of men and women who work for the state. Let us concede, or imagine, that the supporters of Bill 21 believe in good faith that their vision of secularism is morally justified.

Pourquoi ont-il néanmoins tort? Tout simplement, parce que cette forme de laïcité requiert de grossières violations de la liberté individuelle. Elle veut dire que l’État peut imposer aux individus une façon particulière de pratiquer ou de ne pas pratiquer leur foi ― leur dire, donc, s’ils pourront ou non vivre selon leurs valeurs fondamentales. M. Rioux soutient que le Projet de loi 21 ne fait rien de tel, puisqu’il n’affecterait pas le droit de vivre sa foi, mais seulement le « droit de l’afficher pendant les heures de travail » ― comme si on pouvait avoir une foi à temps partiel. L’idée est risible. Si on demandait à M. Rioux de porter une kippah, mais seulement pendant les heures de travail, ça lui irait? (C’est pour cette raison que les tentatives, fréquentes, de dresser une analogie entre le Projet de loi 21 et les interdictions sur l’auto-identification politique ne fonctionnent pas : l’engagement politique, lui, est toujours à temps partiel, même pour un partisan endurci, et peut être mis de côté, puis renouvelé, alors que la foi religieuse ne le peut pas.)

Il va sans dire, l’État peut limiter, voire nier, la liberté d’une personne pour l’empêcher de s’en servir pour porter atteinte à la vie, à la liberté ou aux biens d’autrui ; et, peut-être, pour l’empêcher de nier l’appartenance égale d’une autre personne à la communauté. Or, les détenteurs de charges publiques ou les employés de l’État qui refusent de se convertir à une religion à temps partiel ou de faire acte d’apostasie ne font rien de tel. Ils ne volent personne, ils n’empêchent personne de faire quoi que ce soit, ils n’imposent leurs croyances à personne. Ils sont, bien sûr, manifestement identifiables comme appartenant à une confession religieuse ou une autre, mais la plupart de nous sommes manifestement identifiable comme apparentant à un genre ou à un groupe racial plutôt qu’un autre. Une enseignante musulmane qui porte le hijab ne fait pas plus de ses élèves des Musulmans qu’un enseignant blanc n’en fait des hommes blancs. (Il est bien sûr possible qu’une enseignante ou un fonctionnaire croyants fasse du prosélytisme ou accorde un traitement de faveur à un co-religionnaire. C’est cela qu’il faut réprimer, le cas échéant, tout comme il faut réprimer la propagande ou le favoritisme fondés sur d’autres aspects d’une identité personnelle.)

Sauf que, pour leur part, les obsédés de la laïcité qui soutiennent le Projet de loi 21 acceptent que l’État dénie la liberté individuelle pour bien d’autres raisons encore. M. Rioux écrit que, « [f]ace au multiculturalisme qui tente d’imposer partout sa pensée unique, le premier ministre a eu raison d’affirmer dimanche dernier que “c’est comme ça qu’on vit ici” », parce que « les Québécois ont beaucoup plus qu’une langue en partage ». Passons outre, encore une fois, l’ironie d’une dénonciation de la pensée unique conjuguée à l’insistance que l’État peut priver les citoyens de leur liberté au nom de la façon dont on « vivrait ici » et de ce qu’on aurait, supposément, « en partage ». Si M. Rioux n’était pas un hypocrite, l’idée qu’une façon de vivre officiellement reconnue ― réputée largement partagée malgré et, en fait, précisément en raison de l’évidence frappante du fait qu’elle ne l’est pas ― peut être imposée par la force par l’État à ceux qui n’y souscrivent pas ne serait ni moins fausse ni moins pernicieuse. Cette idée, c’est la prétention que ceux qui détiennent le pouvoir sont autorisés à dicter leurs croyances et leur façon de vivre à tous, pour la seule et unique raison qu’ils détiennent le pouvoir. Elle est incompatible avec toute liberté digne de ce nom.

Bien entendu, cette opinion illibérale est largement répandue. Elle n’est le propre d’aucun groupe racial ou religieux, d’aucune nation. M. Rioux en appelle, à l’encontre des accusations d’islamophobie, au fait qu’une large majorité de Musulmans français seraient favorables à des restrictions similaires à celles qu’imposerait le Projet de loi 21. Ils ne peuvent pas être islamophobes, eux, n’est-ce pas? C’est très juste, et sans pertinence aucune. Un Musulman français peut être tout aussi illibéral qu’un Canadien français catho-laïque. D’ailleurs, les chouchous judiciaires des intellectuels canadiens bien-pensants se sont montrés tout à fait capables de verser dans l’illibéralisme de cette sorte quand ils ont invoqué de mythiques « valeurs communes » pour permettre à un organe de l’État de nier une accréditation à une institution religieuse dissidente.

Le dire maintenant peut sembler étonnant, mais le débat autour du Projet de loi 21 démontre aussi bien que n’importe quel autre ne pourrait le faire que l’égalité, et les -phobies et les -ismes qui l’accompagnent, prennent beaucoup trop de place dans notre pensée et notre discours. Il ne s’agit pas de dire que ces choses sont sans importance. Cependant, ce qu’il y a de mauvais dans notre vie publique n’est pas toujours mauvais parce que cela contrevient à la valeur d’égalité. Par ailleurs, ce qui n’y contrevient pas n’est pas forcément permis pour autant, et ce qui contribue à la réaliser n’est pas, dès lors, requis. Il est temps qu’on se rappelle que la liberté est tout aussi importante ― mieux encore, qu’on réalise qu’elle est plus importante, mais je n’en demande pas autant tout de suite. Il est temps qu’on se rappelle que les individus en chair et en os, et non des abstractions rêvées ou des communautés imaginées, sont ce qui compte. Il est temps qu’on cesse de craindre l’usage que feraient les autres de leur liberté si on ne les menottait pas par prévention. Il est temps qu’on soit libre.

What Really Matters

Whether Québec’s anti-religious bill is racist or Islamophobic is beside the point. What matters is its illiberalism

In the debate about Bill 21, Québec’s proposed legislation to make “laicity”, whatever exactly that is, the province’s official religious doctrine, and to impose a correspondingly faith-based dress code on its teachers, lawyers, and police officers, much attention is being devoted to the question of whether the endeavour reflects racism, Islamophobia, or other forms of discrimination. The proposal’s critics often say that it does. Its defenders, and indeed some critics, profess offence at the suggestion, and insist that the aggressive form of secularism the Québec seeks to enforce is a principled political vision. It seems to me that this all quite beside the point. Whether or not Bill 21 is the product of discrimination or of high principle does not matter. It is equally despicable either way.

Now, I should say that I personally have little doubt that xenophobia makes a more-than-deminimis contribution to such political support as there is for Bill 21. Without an irrational fear of “invaders”, of foreigners (actual or presumed) who “impose their customs” on the established populations (which outnumber them by 30- or 50- if not 100-to-1), the ambitions of dogmatic secularists to impose their creed on Québec would in all likelihood have remained perfectly theoretical. This is, after all, what they had been for decades, before this fear started being inflated in the wake of the Supreme Court’s ruling in Multani v Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 SCC 6, [2006] 1 SCR 256, a.k.a. the kirpan case. For all that we are asked to remember Québec’s uniquely fraught relationship with (Catholic) religion, there was nothing like the current degree of support for virulent secularism at a time when the memories of this relationship were fresher than they are now. Still, whatever may be the case in general, we should probably be reluctant to make accusations of xenophobia against individuals ― unless, of course, we have specific reasons to do so in their particular case.

Let us focus, then, on the supposed principled justifications for Bill 21. Let us presume, for the sake of argument, that its supporters really believe that, as Christian Rioux put it in Le Devoir, “the diversity of modern societies makes state secularism an increasingly unavoidable requirement. The pluralist societies are, more citizens demand that the state’s religious neutrality be beyond reproach” (translation mine here and below). Let us ignore the delightful irony of a man named Christian preaching secularism. Let us even avert our eyes from the sleight-of-hand involved in the equation of “state neutrality”, which as the Supreme Court explained in Mouvement laïque québécois v Saguenay (City), 2015 SCC 16, [2015] 2 SCR 3, “is required of institutions and the state, not individuals”, [74] with the “neutrality” of men and women who work for the state. Let us concede, or imagine, that the supporters of Bill 21 believe in good faith that their vision of secularism is morally justified.

Why are they wrong? Simply because this form of secularism involves gross violations of individual liberty. It means that the state gets to tell people how, or how not, to practise their faith ― whether they will be allowed to pursue their fundamental commitments. Mr. Rioux denies that Bill 21 does any such thing, since it only affects “the right to publicize [one’s religion] during working hours” ― as if one could have a part-time faith. This is laughable. If Mr. Rioux were asked to wear a kippah, but only during working hours, would that be all right by him? (This is why the frequent attempts to analogize the policy of Bill 21 to bans on political self-identification do not work: political commitments are indeed part-time things, even for hardened partisans, and can be set aside and then resumed, in a way that religious commitments cannot.)

Needless to say, the state may limit or even take away a person’s liberty to avoid it being used to interfere the life, liberty, or property of others; and, perhaps, to avoid it being used to deny others’ equal membership in the community. But public officials or employees who refuse to convert to part-time religion or to commit apostasy do no such thing. They do not take anyone’s property; they do not deprive anyone of their ability to do anything; they do not impose their beliefs on anyone. Sure, they are visibly, manifestly, identifiable as having a religious affiliations; but most of us are visibly, manifestly identifiable as members of particular genders and racial groups, not to mention as being of a certain age. A Muslim teacher wearing a hijab no more makes her students Muslim than a white male teacher makes his students white men. (Of course it is possible that a religious teacher or public servant will engage in proselytism, or unduly favour co-religionists. These things should be punished, just as propaganda or favouritism based on other commitments or aspects of one’s identity should be punished.)

The secularist obsessives supporting Bill 21, however, have a much more expansive view of the reasons for which the state can deny people’s liberty. Mr. Rioux writes that, “faced with a multiculturalism that seeks to impose its single-minded thinking everywhere, the premier [of Québec] was right to assert … that ‘this is how we live here'”, because “Quebeckers have much more than a language in common”. Never mind, again, the irony of denouncing single-minded thinking while insisting that a state may deprive citizens of liberty in the name of “how we live here” and of what they purportedly “have in common”. Were Mr. Rioux not a hypocrite, the idea that state-sanctioned ways of doing things ― said to be widely or even universally shared despite, and indeed precisely because of, glaring evidence of the fact that they are not ― can be imposed by force on those who do not share them would be no less wrong-headed, and no less pernicious. This idea purports to authorize those in power to dictate their beliefs and their ways of living to everyone, for no other reason than that they are in power. It is incompatible with any liberty that deserves the name.

Of course this illiberal view is widely held. It is not confined to any particular racial or religious group, or any nationality. Mr. Rioux appeals, against the charge of Islamophobia, to the fact that a large majority of French Muslims apparently support restrictions similar to those that would be imposed by Bill 21. They can’t be Islamophobes, can they? This sounds like a good argument, so far as it goes, except that it doesn’t go anywhere that matters. A French Muslim can be as illiberal as a French Canadian lapsed Catholic. For that matter, the judicial darlings of Canada’s bien-pensant multiculturalist intelligentsia have proven themselves quite capable of this sort of illiberalism when then invoked mythical “shared values” to authorize an arm of the state to deny an accreditation to a religious dissenting institution, in Law Society of British Columbia v Trinity Western University, 2018 SCC 32.

It might be odd to say so now, but the debate around Bill 21 shows as well as any other that equality, and its attendant -phobias and -isms, occupy too large a space is our thought and discourse. This is not to say that these things do not matter. But not everything that is wrong in our politics is wrong because it contravenes the value of equality. Nor is anything that does not contravene this value therefore permitted, or anything that supports this value therefore required. It is time we remembered that liberty is no less important ― or, better yet, that we realized that liberty is more important, but I am not asking for everything at once. It is time we remembered that living individuals, not intellectual dreamt-up abstractions or imagined communities, are what really matters. It is time we stopped fearing the way in which others might use their liberty if we do not preemptively coerce them. It is time we were free.

Inutile ou inconstitutionnel?

En plus de s’attaquer à la liberté d’expression et à la primauté du droit avec leur projet de loi 59, le gouvernement du Québec et la ministre de la justice, Stéphanie Vallée, s’attaquent peut-être aussi à la liberté de religion avec le projet de loi 62. Peut-être, car ce texte législatif contient une exception qui pourrait en réduire l’effet réel à néant. Cependant, on peut supposer que son application, surtout dans l’environnement politique et social actuel, va bel et bien mener à des violations de la liberté de religion, droit pourtant protégé par l’art. 2(a) de la Charte canadienne des droits et libertés et l’art. 3 de la Charte des droit et libertés de la personne, alias la Charte québécoise.

Le projet de loi 62 contient bien des dispositions inoffensives, notamment les articles 4 à 6, qui énoncent et qualifient le devoir  de neutralité religieuse imposé aux fonctionnaires et autres employés de l’État. Ce devoir n’est pas nouveau, ce qui fait en sorte que l’adoption de ces dispositions est inutile mais, pour cette même raison, elle ne fera pas de mal. Il en va de même avec la plupart des critères édictés aux articles 10 à 12 pour, supposément, encadrer l’octroi d’accommodements religieux. À une exception près, sur laquelle je reviendrai, ces critères ne sont pas nouveaux ― et, pour cette même raison, il ne faut pas se faire d’illusion sur leur capacité à servir de « balises » aux accommodement. Les décisions, en cette matière, ne peuvent se faire qu’au cas par cas, et exigent la bonne foi de toutes les parties impliquées. Or, on ne génère pas la bonne foi à coups de législation.

Là où le bât blesse, cependant, c’est à l’article 9 du projet de loi. Les deux premiers alinéas en sont les suivants:

Un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert, sauf s’il est tenu de le couvrir, notamment en raison de ses conditions de travail ou des exigences propres à ses fonctions ou à l’exécution de certaines tâches.

De même, une personne à qui est fourni un service par un membre du personnel d’un organisme doit avoir le visage découvert lors de la prestation du service.

Cette obligation vise, on s’en doute bien, les femmes musulmanes qui portent la burqa ou le niqab. On semble leur interdire de travailler pour l’État, et même d’en recevoir les services ― d’aller à l’école ou à l’université, de se faire soigner à l’hôpital ou même, je pense, de porter plainte à un poste de police. En d’autres mots, on semble les mettre hors la loi. Sauf que le troisième alinéa de l’article 9 crée une exception:

Un accommodement qui implique un aménagement à l’une ou l’autre de ces règles est possible mais doit être refusé si, compte tenu du contexte, des motifs portant sur la sécurité, l’identification ou le niveau de communication requis le justifient.

À première vue aussi, l’effet de cette exception pourrait être de carrément annuler les obligations apparemment imposées aux alinéas précédents. Aux moins deux des trois prohibitions catégoriques qui la qualifient ne sont pas nouvelles: les femmes qui portent la burqa ou le niqab acceptent déjà découvrir leur visage pour s’identifier, notamment pour des raisons de sécurité.

La grande incertitude concerne cependant la façon dont l’article 9 sera appliqué en réalité. Par exemple, va-t-on refuser systématiquement l’ « accommodement » que serait le port de la burqa ou du niqab sous prétexte qu’il empêche d’atteindre « le niveau de communication requis » (art. 9, al. 3), ou qu’il ne « respecte [pas] le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes » (art. 10, al. 1, sous-al. 2) ou encore qu’il « compromet […] le principe de la neutralité religieuse de l’État » (art. 10, al. 1, sous-al. 3)?  En théorie, de tels refus systématiques iraient à l’encontre de l’alinéa 3 de l’article 9, qui dit bien qu’un accommodement « est possible ». En pratique, dans l’état actuel des esprits québécois, je ne suis pas optimiste. Et il y a aussi un problème plus général: en qualifiant la non-interdiction du port de la burqa ou du niqab comme un accommodement, oblige-t-on les femmes qui vont recevoir un service de l’État ― disons, en se présentant à l’urgence d’un hôpital ― de formuler une demande formelle? J’ose espérer que non, mais même si ce n’est pas le cas, le message que le projet de loi envoie aux personnes à qui cette femmes s’adresse est qu’ils lui font une faveur ― et qu’ils pourraient la lui refuser.

Si on refuse ces » accommodements », les contestations en vertu de l’une ou l’autre Charte seront inévitables. Et, selon moi, elles auront de très bonne chances de succès. Je crois qu’il serait aussi possible de contester la compétence de la législature du Québec à adopter le projet de loi 62, en soutenant que, de par son caractère véritable, il s’agit d’une loi portant sur la religion, un sujet qui relève du Parlement fédéral selon l’arrêt Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 SCR 299. J’ai expliqué cet argument plus en détail ici et ici, s’agissant de la Charte de la honte proposée par le gouvernement péquiste. Dans ce billet, je me concentre sur l’analyse en fonction des Chartes.

Il est évident qu’interdire à une personne de recevoir un service à cause d’un vêtement religieux qu’elle porte est une atteinte à sa liberté de religion (et/ou une forme de discrimination fondée sur la religion). L’État serait tenu de justifier cette atteinte, en démontrant qu’elle sert un objectif urgent et réel, qu’elle est rationnellement liée à cet objectif, qu’elle est (à peu près) la moins sévère possible pour réaliser cet objectif et, enfin, que ses bienfaits dépassent ses effets négatifs.

Or, une telle démonstration ne me semble pas possible. L’objectif du projet de loi 62, selon l’article 1 de celui-ci, est de z favoriser le respect » de « la neutralité religieuse de l’État ». Or, la Cour suprême a bien spécifié dans son récent arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16,

qu’un espace public neutre ne signifie pas l’homogénéisation des acteurs privés qui s’y trouvent. La neutralité est celle des institutions et de l’État, non celle des individus. [74]

Il n’y a donc pas de lien rationnel entre l’objectif de neutralité et l’interdiction, pour les individus qui reçoivent les services de l’État, ou même ceux qui travaillent pour celui-ci, de vêtements religieux. Le caractère irrationnel de cette interdiction devient encore plus clair lorsqu’on considère qu’elle ne s’étend qu’à quelques vêtements religieux, mais épargne la plupart des symboles religieux qui révèlent pourtant, de façon tout aussi évidente, l’appartenance religieuse des personnes qui les portent ou les affichent.

Avant de conclure, je reviens sur un autre élément du projet de loi 62 qui me paraît troublant: l’exigence, posée au premier alinéa de l’article 10, que tout accommodement religieux « respecte le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes ». Je ne suis évidemment pas contre cette égalité. Cependant, les tribunaux ont toujours rejeté les hiérarchies de droits comme celle que cette disposition crée. Qui plus est, l’application concrète de ce critère risque de mal tourner. Par exemple, comme je le suggère ci-dessus, il risque d’être invoqué pour rejeter systématiquement la présence de certains symboles religieux jugés sexistes sans égard au sens que leur donnent les personnes qui les affichent. Il serait préférable, selon moi, de rappeler l’importance de l’égalité des sexes dans la considération des accommodements, mais sans en faire un critère qui prévaut automatiquement sur les autres.

Ainsi, dans la mesure où elle aura un impact réel l’obligation d’avoir le visage découvert, qui est la pièce maîtresse du projet de loi 62, porte atteinte à la liberté de religion des femmes qui porte la burqa ou le niqab. Cette atteinte n’a aucun lien rationnel avec l’objectif affiché de ce projet de loi. Il n’est pas impossible, par ailleurs, qu’en pratique, cette obligation ne soit pas imposée. Cependant, pour les raisons que j’explique ci-dessus, je ne crois pas que tel serait le cas. Cette disposition est donc inutile au mieux, et inconstitutionnelle au pire. Elle va certes moins loin que la Charte de la honte péquiste, mais tout comme celle-ci, elle est le fait d’un gouvernement qui fait de la petite politique sur le dos d’une minorité religieuse vulnérable.

A Prayer for Neutrality

This morning, the Supreme Court delivered its judgment in the municipal prayer case, Mouvement laïque québécois v. Saguenay (City), 2015 SCC 16, holding that a prayer recited by the Mayor at the beginning of the city council’s meetings, as well the municipal regulation which regulated its recitation, infringed the City’s duty of neutrality and the rights of an atheist citizen, Alain Simoneau. The Court thus delivers a well-deserved rebuke to the Québec Court of Appeal, which had sided with the City in a judgment I suggested bordered on surrealism. The Court’s judgment is almost unanimous, with only Justice Abella not signing onto Justice Gascon’s reasons (the first he has produced alone, and his first for a majority, after his joint dissent in the gun registry case), and only because of a disagreement about standards of review.

Although the City referred to the prayer as “traditional” and sought (successfully at the Court of Appeal) to defend it as a sort of cultural artifact, the prayer was only as old as the City itself ― that is to say that it dated all the way back to… 2002. It was also unmistakably theistic, referring and appealing to “Almighty God.” Besides, as Justice Gascon points out, the mayor and “[o]ther councillors and municipal officials would cross themselves at the beginning and end of the prayer as well.” As for the by-law, it was of an even more recent vintage, having been enacted in 2008, after Mr. Simoneau’s complaint that gave rise to this case had been filed with Québec’s Human Rights Commission.

The first issue Justice Gascon addresses concerns the applicable standards of review. I will not say much about it here, in the interest of (relative) concision. Justice Gascon concludes that, while the Human Rights Tribunal’s holding on the meaning and scope of the state’s religious neutrality must be assessed on a standard of correctness, its other findings, in particular those that concerned the infringement of Mr. Simoneau’s rights and the religious nature of the prayer, had to reviewed on the reasonableness standard. Another preliminary issue was whether the Tribunal, and hence the courts reviewing its decision, could rule on the propriety of the religious symbols present in the halls where the Saguenay council met. Justice Gascon finds that they could not.

The main issues for the Supreme Court were the state’s duty of religious neutrality and the infringement of Mr. Simoneau’s rights (in particular, given the case’s origins in a complaint to a human rights tribunal, his right not to be discriminated against on the basis of religion). The two are closely linked since, as Justice Gascon puts it, “[s]ponsorship of one religious tradition by the state in breach of its duty of neutrality amounts to discrimination against all other such traditions,” [64] as well as to a violation of the freedom of religion itself.

Neutrality, Justice Gascon points out, is not expressly guaranteed by either the Canadian Charter or the Québec one. It is, however, the product of “an evolving interpretation of freedom of conscience and religion,” [71] and “requires that the state neither favour nor hinder any particular belief, and the same holds true for non‑belief.” [72] The state’s siding with one group of believers or non-believers necessarily conveys the message that others are disfavoured or unequal. As a result, the state

may not use its powers in such a way as to promote the participation of certain believers or non‑believers in public life to the detriment of others. It is prohibited from adhering to one religion to the exclusion of all others. [76]

This prohibition extends to the state engaging in “religious expression under the guise of cultural or historical reality or heritage.” [78] While Justice Gascon points out that “the Canadian cultural landscape includes many traditional and heritage practices that are religious in nature,” [87] and not all of them are contrary to the duty of neutrality, if the circumstances

reveal an intention to profess, adopt or favour one belief to the exclusion of all others, and if the practice at issue interferes with the freedom of conscience and religion of one or more individuals, it must be concluded that the state has breached its duty of religious neutrality. This is true regardless of whether the practice has a traditional character. [88]

Justice Gascon is careful to specify that “a neutral public space does not mean the homogenization of private players in that space. Neutrality is required of institutions and the state, not individuals.” [74] Indeed, the state must “encourage everyone to participate freely in public life regardless of their beliefs.” [75] However, the duty of neutrality is infringed in cases “[w]here state officials, in the performance of their functions, profess, adopt or favour one belief to the exclusion of all others.” [84]

Applying these principles, Justice Gascon finds that the Tribunal’s conclusion Saguenay prayer amounted to an endorsement of a specific religious position and thus a breach of the City’s duty of neutrality was reasonable. The prayer was unmistakably religious, and was recited by the mayor, who emphasized its religious character. In Justice Gascon’s view,

the recitation of the prayer at the council’s meetings was above all else a use by the council of public powers to manifest and profess one religion to the exclusion of all others. It was much more than the simple expression of a cultural tradition. … [W]hat is at issue here is the state’s adherence, through its officials acting in the performance of their functions, to a religious belief.  [118-19]

As for the fact that, under the by-law, the prayer was held before the official start of the council meetings, so as to allow citizens who did not wish to be present to leave the room and come back, it only “highlights the exclusive effect of the practice.” [101] In short, the City had “turned the [council] meetings into a preferential space for people with theistic beliefs,” [120] which was a more than trivial form of interference with the religious freedom of others, including of course Mr. Simoneau, the complainant, as well as a form of discrimination against them.

Finally, Justice Gascon dismisses a number of other arguments raised by the City and the interveners who supported it. In particular, he states that preventing the state from endorsing a religious position does not amount to forcing it to become agnostic or atheist. Prohibiting the municipal prayer is simply not the equivalent of forcing the City to deny God. The fact that a prayer is non-denominational does not stop its being religious, and thus non-neutral. As for “[t]he reference to the supremacy of God in the preamble to the Canadian Charter,” it “cannot lead to an interpretation of freedom of conscience and religion that authorizes the state to consciously profess a theistic faith.” [147]

In the result, the Supreme Court upholds the Human Rights Tribunal’s orders banning the recitation of the prayer and awarding damages to Mr. Simoneau. It also declares the by-law inoperative and invalid, albeit only vis-à-vis Mr. Simoneau, since an administrative tribunal cannot pronounce a general declaration of invalidity.

* * *

Those who recall my criticism of the Court of Appeal’s decision in this case will not be surprised to learn that I am happy with this outcome. More specifically, I am delighted with the Supreme Court’s strong endorsement of the principle of state neutrality, and with its attention to the concerns, which I raised here, about prayer by officials often being

the product of a familiar public choice problem: officeholders using the powers of their office to advance their personal interests and pet causes, not for the benefit of the public, but rather at its expense.

Justice Gascon’s reasons suggest that this is exactly what he saw the Saguenay mayor, Jean Tremblay, as doing. I am equally happy about the Court’s seeing through the mask of “tradition,” “culture,” and “heritage” which it has been fashionable in Québec to use to hide the state’s support for Catholicism. Indeed, it would be nice if Justice Gascon’s clear-eyed discussion of neutrality prompted Québec’s National Assembly to remove the giant crucifix hanging behind its Speaker’s seat ― though I am not so optimistic as to expect such a thing to happen.

Last but not least, I am also happy with the care Justice Gascon has taken to specify that the duty of neutrality applies not to all persons who find themselves in the public sphere, but to the state and to officials speaking for it. To repeat a passage I have already quoted, neutrality reproves ― “the state’s adherence, through its officials acting in the performance of their functions, to a religious belief,” or the officials’ “use [of] public powers to profess their beliefs.” [119] The fact that an official manifests his or her beliefs “on a personal basis” [119] does not matter. To me, this quite clearly suggests that neutrality does not justify efforts to prevent civil servants from wearing religious clothing or symbols. On the contrary, Justice Gascon’s insistence on the state’s duty to welcome the adherents of a variety of beliefs in public life deserves to be emphasized.

That said, while the general thrust of the decision seems to me quite clear, it may not answer all the questions that the concept of neutrality gives rise to. In particular, it does not articulate very clearly the distinction between those religious manifestations which, because of their predominantly cultural character, do not infringe the principle of neutrality, and those that do, beyond saying that intent matters a lot. This may well be as it should be ― it’s not obvious that there can be a bright dividing line between these categories ― but the debates on this topic will continue.

In any case, even if it does not settle every conceivable question, and despite its perhaps lacking in ringing passages that will capture imaginations, one can hardly have expected a better decision than that which Justice Gascon produced. It is impressive that the Supreme Court’s second-newest member has already made such a mark on its jurisprudence. Today is a great day for religious liberty and equality in Canada and in Québec. Amen.

Quand on se compare

Les traditions tant française qu’américaine de laïcité sont moins monolithiques qu’on ne l’a parfois prétendu. Reste qu’imposer la « neutralité » aux individus est injustifié.

Dans le débat entourant la Charte de la honte que le Parti Québécois proposait il y a un an, on a beaucoup invoqué les traditions française et américaine de la laïcité. La première, a-t-on prétendu, surtout chez les partisans de la Charte de la honte, justifierait l’exclusion des symboles religieux de la sphère gouvernementale, voire de la sphère publique, au nom de la neutralité religieuse. La religion, disait-on, est une affaire privée. Et tant chez les partisans que chez les détracteurs de la Charte de la honte on a contrasté cette vision de la laïcité avec la tradition américaine, ouverte à l’expression religieuse, du moment que l’État lui-même (et non simplement un de ses représentants plus ou moins directs) ne prenait pas position en matière religieuse. (La fameuse lettre de Bernard Drainville et Jean-François Lisée au New York Times, tentant de récupérer l’héritage de Thomas Jefferson pour défendre la Charte avait été largement ridiculisée.) Or, ces deux traditions, ces deux visions de la laïcité, sont moins monolithiques qu’on ne le pense, comme deux récents textes permettent de constater.

Le premier est une entrevue accordée à Sonya Faure de Libération par Stéphanie Hennette-Vauchez et Vincent Valentin, qui soutiennent que les mesures d’exclusion de la religion de l’espace public adoptées par la France ces dix dernières années sont une perversion plutôt que la continuation de la tradition française de laïcité. Les profs. Hennette-Vauchez et Valentin dénoncent une ambiance sociale où « la présence de la religion est désormais jugée insupportable, indépendamment de tout trouble à l’ordre public ou atteinte à la liberté d’autrui » et une « vision de la laïcité [qui] tend à imposer l’obligation de neutralité aux personnes privées » plutôt qu’à l’État. Cette « nouvelle laïcité », expliquent-ils, s’inscrit

dans une logique de contrôle. Elle veut neutraliser tout ce qui, dans le religieux, différencie, singularise. On mobilise la laïcité pour aseptiser le religieux, perçu comme un microbe qui corrompt le vivre-ensemble. Les citoyens devraient renoncer à la part d’eux qui n’est pas commune, dès lors qu’ils entrent dans l’espace public.

Or, selon les profs. Hennette-Vauchez et Valentin, vouloir confiner les manifestations religieuses à la « sphère privée», les éliminer de l’espace public, « n’est pas du tout l’esprit de la loi de 1905 » qui a laïcisé l’État. C’est en fait vouloir effacer la distinction entre l’État et la société, imposant à celle-ci les obligations qui n’incombaient, jusque là, qu’à celui-là. De plus, plutôt que défendre la

liberté […] de croire ou de ne pas croire[,] les partisans de la nouvelle laïcité veulent imposer des restrictions. Ils défendent non pas un droit mais une culture, une certaine manière d’être. On touche déjà à la manière de s’habiller, pourquoi pas bientôt à la manière de manger, ou autre ?

On assiste, en somme, à l’émergence d’ « [u]ne sorte de catéchisme républicain. Derrière la défense de la laïcité, c’est un moralisme national, républicain, politique qui se dessine ». Les restrictions aux libertés individuelles sont justifiées non seulement par la protection des droits d’autrui, mais aussi par « un ordre public immatériel, symbolique [consistant de] valeurs abstraites qui justifient, elles aussi, une restriction de la liberté ». Certes, les considérations morales ont toujours eu un certain rôle à jouer en droit, mais la tendance était à la restriction, sinon à l’élimination de ce rôle. Or, cette tendance s’est désormais inversée.

La logique de contrôle et d’élimination de la différence, faut-il le rappeler, a été bien en évidence dans l’argumentaire déployé au soutien de la Charte de la honte. Force est de constater que ― les profs. Hennette-Vauchez et Valentin ne le disent pas explicitement, mais à mon sens ils le suggèrent fortement ― ce « projet politique » frise le totalitarisme, dont les différentes formes ― fasciste, communiste, religieuse ― ont justement pour parmi les principales caractéristiques communes la fusion entre l’État et la société, ainsi que le moralisme omniprésent et liberticide. Or, les profs. Hennette-Vauchez et Valentin nous permettent de comprendre que, contrairement à ce que les zélotes de la laïcité voudraient nous faire croire, ce n’est ni une conséquence nécessaire de la tradition française de la laïcité ni une lecture universellement partagée de celle-ci.

Le second texte que je voulais aborder dans ce billet présente quant à lui un aspect moins connu de la tradition américaine de laïcité. Il s’agit d’un billet de Eugene Volokh, qui discute une plainte visant un professeur d’une école publique de la Pennsylvanie qui porte un collier avec une étoile de David. Comme l’explique le prof. Volokh, une loi de la Pennsylvanie interdit effectivement le port de « tout vêtement, signe, emblème ou insigne indiquant que ledit enseignant est un membre ou adhérant d’un quelconque ordre, secte ou dénomination religieux » (je traduis, ici et plus bas). Au moins un autre État, l’Oregon, a déjà eu une loi semblable, bien qu’il l’ait abrogée en 2010. Qui plus est, ces lois ont été jugées constitutionnelles par des Circuit courts (mais non, quant au fond, par la Cour supême). Pas Thomas Jefferson, donc, mais il y a bien aux États-Unis un courant de pensée ― si minoritaire soit-il ― voulant que le port de symboles religieux par les professeurs des écoles publiques pourrait être perçu comme un positionnement de l’État en faveur de la religion.

Cependant, comme l’explique le prof. Volokh, la loi de la Pennsylvanie est probablement inconstitutionnelle, et la décision contraire du 3e Circuit, erronée, l’interdiction du port de symboles religieux par des employés individuels n’étant pas nécessaire pour dissiper une telle perception. (D’ailleurs, s’appuyant sur une jurisprudence qui la remet en question, l’école a refusé de donner suite à la plainte contre le professeur au collier à l’étoile de David.) Comme le dit le prof. Volokh, un enfant qui comprend qu’un vêtement ou un bijou reflète une affiliation religieuse doit aussi pouvoir comprendre que des personnes de religions différentes travaillent au sein d’un même établissement, et que cela ne signifie pas que l’établissement est affilié avec toutes ces religions:

De façon générale, les vêtements et les bijoux ne sont pas perçus par ceux qui les voient, même par de jeunes personnes, comme des tentatives [de la part de ceux qui les portent] de persuader les autres de la vérité de leur religion. En fait, tous les États sauf la Pennsylvanie permettent aux enseignants de porter des bijoux ou des couvre-chefs religieux et des objets semblables, et je ne connais aucune preuve de ce que les élèves dans ces États perçoivent ça comme un positionnement en faveur de la religion de la part de l’école.

Et même si cela n’était pas vrai pour de très jeunes étudiants, il faudrait restreindre l’interdiction à ceux qui leur enseignent. Un adolescent, dit le prof. Volokh, peut assurément comprendre

que l’école peut employer des professeurs ouvertement catholiques, des professeurs ouvertement juifs et des professeurs ouvertement musulmans, sans endosser l’une ou l’autre religion.

(Et dire que le PQ voulait imposer les même interdictions dans les universités!) Du reste, souligne le prof. Volokh, dans la mesure ou de jeunes élèves pourraient ne pas le comprendre, l’école devrait tout simplement expliquer que les enseignants sont libres de s’identifier à une religion de leur choix, sans que l’école ne les encourage ni ne les condamne:

Même pour de jeunes élèves, ce n’est pas une leçon difficile, et elle vaut probablement la peine d’être enseignée. Et on peut l’enseigner sans discriminer contre des pratiques religieuses et sans exclure, dans les faits, des enseignants qui se sentent motivés ou obligés de porter des vêtements ou des bijoux religieux.

Cette leçon, les apôtres de la Charte de la honte et les tenants de la « nouvelle laïcité » plus généralement feraient bien de l’apprendre une fois pour toutes. En fait, on se rend bien compte, en lisant le billet du prof. Volokh, que la thèse que ces derniers défendent, la thèse voulant qu’il est nécessaire, pour préserver la neutralité religieuse de l’État, d’exclure la religion des institutions gouvernementales, voire de l’espace public, est non seulement liberticide et discriminatoire, mais aussi carrément infantilisante. Prétendre que les citoyens ne sont pas capables de distinguer une croyance individuelle d’une prise de position officielle, c’est les mépriser.

Quand on compare le débat québécois sur la laïcité à la situation en France et aux États-Unis, on peut se consoler. Non pas parce que les choses sont pires ailleurs (elles le sont, me semble-t-il, en France, mais ce n’est pas une consolation), mais bien parce qu’on constate que, si les idées liberticides qu’on observe chez nous sont , hélas, universelles, la résistance à ces idées l’est tout autant. Et si l’exemple français nous montre combien cette résistance peut être difficile, l’exemple américain suggère qu’elle peut, et doit, triompher.

NB: Je remercie Jean-François Gaudreault-DesBiens pour le lien vers l’article de Libération

What to Thump

This morning the Supreme Court heard the oral argument in Mouvement laïque québécois v. Saguenay (Ville de), a case on the validity, under the Québec Charter of Human Rights and Freedoms of a municipal by-law authorizing the mayor and those municipal councillors who wish it to publicly read a prayer just prior to the official start of business at municipal council meetings. An additional issue is the permissibility of an installation of religious symbols ― a sculpture of the Sacred Heart and a crucifix in the hall where the council meets. It is hard to tell which way the argument went. Indeed, my own impression, for what little it’s worth, is that at its conclusion, the Court was left with just as many questions as it had in the beginning, and the parties did not do much to help it answer the difficult questions the case presents.

Whether deliberately or because he did not know better, the appellants’ lawyer focused almost exclusively on the “small” questions ― the standard of review, the Court of Appeal’s dismissal of the appellants’ expert’s opinion, which had been accepted by the Human Rights Tribunal, which heard the matter in the first instance, and the effect of the prayer and the surrounding controversy on the individual complainant, Alain Simoneau. Even when Justice Lebel directly told him that the Court was interested in the broader questions of principle, the appellants’ lawyer more or less ignored him and stuck to his chosen themes. For him, the case is just an ordinary discrimination complaint and should be treated as such. The Human Rights tribunal heard the evidence and interpreted its home statute; it is entitled to deference; end of story. The big debate about state neutrality? That’s just incidental, he told Justice Lebel; and anyway, he added to an incredulous Justice Wagner, nobody is really against state neutrality or in favour of a state religion. The implications for the prayer at the House of Commons? Well, there are no municipal services being offered at the House of Commons, and the municipal legislation saying anyone is entitled to participate does not apply, so it’s not the same. The preamble to the Constitution Act, 1982, which mentions says that “Canada is founded upon principles that recognize the supremacy of God”? But the mayor of Saguenay wasn’t reciting the preamble! Do you have a test for us to distinguish cultural and religious manifestations, asked Justice Wagner. No, Justice, each case must be considered on its own facts.

The other parties, however, were more than happy to speak of general principles. They did not always succeed at staying at that level however.

The Canadian Secular Alliance, which intervened to support the appellants, tried to draw a line between official or state action, and the personal manifestations of faith by public employees or even officers. In the former area, religion is proscribed; in the latter it is permitted and indeed may have to be accommodated. It also pointed out that the freedom of religion jurisprudence has moved from a concern only with coercion to one with exclusion, even in the absence of coercion. Even if official prayer is not coercive, it is exclusionary, and thus impermissible.

The Canadian Civil Liberty Liberties Association, for its part, wanted to stress that even a non-denominational prayer is still a religious manifestation. But what’s the big deal with it, anyway, asked Justice Moldaver. Is there some sort of objective standard by which we can judge an interference with a person’s religious freedom? Shouldn’t we just put up with these little things? If the purpose of the state action is religious, the CCLA argued, then its effects are irrelevant. But the whole point, said the Chief Justice, is that we have trouble defining where the “religious” starts. And the CCLA, no more than the appellants, didn’t have a general test for the Courts. Triers of fact can handle that, in light of all the circumstances.

The respondents, for their part, spent a considerable amount of time discussing the meaning of laïcité and state neutrality, although they started by asserting that rather than these principles, it is their limits that are really at issue in this case. And limits there must be, lest we lose our collective frame of reference and end up lost in something called either “radical liberalism” or “unalloyed multiculturalism.” The state must not enforce religious observance of course, but it can have its own religious “colour,” which reflects its history and tradition. That’s what prayer by-law does. And as for the mayor doing the sign of the cross while reciting it, well, people do that sort of thing all time, even baseball players. But, Justice Wagner pointed out, the mayor isn’t just a baseball player. Doesn’t it matter, Justice Lebel asked, that the state not identify with a religion? But the Constitution says the Canadian state is founded on a recognition of the supremacy of God, the respondents argued. It is a theistic state. So long as the prayer is just theistic, it is within the bounds of what the state itself is. And its generically theistic text is what matters, not whatever gestures the mayor might make while reciting it. Anyway, the prayer by-law ― unlike the Lord’s Day Act that was struck down in  R. v. Big M Drug Mart,  [1985] 1 S.C.R. 295 ― is not coercive. And the fact public officials invoke the help of God isn’t at all unusual ― they all do it when they swear their oaths of office, even judges.

For the Evangelical Fellowship, the case is about the nature of a secular society and the place of religion in such a society. A secular society, it argued, is not one devoid of religion, or one where religion has been confined to the private sphere. It is non-sectarian ― but not non-religious. Justice Moldaver wondered, at that point, about a “prayer” by a secularist public official, expressing gratitude for the blessings of Canadian society and saying that none of them have anything to do with a God in which we don’t believe anyway. Would that be OK? It wouldn’t, the Fellowship asserted. But is that different from the Saguenay mayor’s expressing gratitude to God? Well, we cannot favour a specific worldview. So, Justice Abella asked, the state cannot  favour religion over non-religion? No, you have to look at the facts. We have prayers ― and the God Save the Queen, too ― at Remembrance Day ceremonies. And there can be a role for religion in the performance of public officials’ duties, so long these duties are carried out in a neutral fashion. To hold otherwise is to favour non-religion.

Finally, a group of Christian organizations argued that the Court, and everyone, could really have it both ways. Rights need not be weighed and made to prevail one over another ― they can be reconciled. Non-denominational prayer is a form of reconciliation; it allows the state not to sponsor religion while not excluding it. Banning the prayer leaves atheists and agnostics in control of the public square. Let’s all live in harmony instead, without winners and losers.

If there’s one thing we can be pretty sure of, it’s that this wish, or prayer, or whatever it was ― Justice Abella spent some time with the various lawyers wondering what the differences between wishes and prayers were ― will not be granted. Both sides have the same complaint: their opponents want to own the public square, and to exclude them. For the secularists, allowing even a non-denominational prayer to continue means ongoing exclusion, subjectively anyway. The only way reconciliation could happen would be for both sides not to take this whole business too seriously, as Justice Moldaver suggested ― but nobody, I suspect, will take up that suggestion.

And if there must be a winner and a loser, who should it be? There is an old litigation adage: if you have the facts, thump the facts; if you have the law, thump the law; if don’t have either, thump the table. It seems to me, however, that at the Supreme Court, the winning arguments will have a bit of everything ― fact-thumping, law-thumping, and table thumping. This morning, nobody had all three. The appellants, though they made a good case on the facts, and a half-decent one on the law, steadfastly refused to thump the table. The respondents shied away from the facts, which are not exactly favourable to them. And even the interveners could not bring it all together. The Court was looking for a general, thumping principle to dispose of the case ― some kind of demarcation between the the formerly-religious-but-effectively-cultural, the trivially-and-therefore-tolerably religious, and the impermissibly religious. It did not get that.

Le sens de la laïcité

L’actualité a publié sur son blogue politique un billet de Frédéric Bastien appelant à la poursuite du débat sur la « laïcité » et défendant la pertinence de la Charte de la honte, alias Charte de laïcité, alias Charte des valeurs, proposée par l’ancien gouvernement péquiste. Malheureusement, comme bien d’autres interventions des partisans de cette charte, telles que les mensonges de son auteur, Bernard Drainville, au sujet des avis juridiques qu’il aurait prétendument obtenus à son sujet, le texte de M. Bastien s’appuie sur une distorsion profonde de la réalité. Contrairement à ce qu’il prétend, le droit canadien, y compris la Charte canadienne des droits et libertés, s’opposent non pas à la laïcité, mais à une conception particulière de la laïcité, que M. Bastien représente à tort comme la seule accepté ou acceptable.

M. Bastien fait grand cas d’une récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme statuant que la loi française interdisant le port du voile intégral en public n’enfreint pas la liberté de religion ou, plus exactement, qu’elle cadre dans la marge d’appréciation que ce tribunal transnational laisse aux États dans la mise en œuvre de leurs obligations en matière de droits de la personne. (J’ai critiqué cette décision ici, l’estimant fondée sur un raisonnement essentiellement totalitaire.) Au Canada, une telle interdiction générale serait inconstitutionnelle car contraire à la garantie de liberté de religion de la Charte canadienne. Prenant la Cour européenne en exemple, M. Bastien soutient donc «que la classe juridique canadienne et ses alliés dans les médias ne détiennent pas le monopole de la vérité sur ce sujet ». En fait, selon lui, ces classes juridique et médiatique « s’opposent très majoritairement à la laïcité ».

C’est faux. Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’une des toutes premières décisions de la Cour suprême à appliquer la Charte canadienne, R. c. Big M Drug Mart, était une affirmation sans équivoque du principe de la laïcité, en ce qu’il rejetait l’imposition par le législateur des croyances d’une religion à l’ensemble du public ― en l’occurrence, la croyance chrétienne concernant le caractère sacré du dimanche, protégé par la Loi sur le dimanche (Lord’s Day Act, dans sa version anglaise). C’est sur cet arrêt que s’appuie l’ensemble de jurisprudence canadienne en matière de liberté religieuse. Et, si tant est que l’on puisse imputer une opinion unique à l’ensemble des journalistes et des juristes canadiens, personne d’eux ne s’oppose au principe voulant que l’État doit être neutre en matière religieuse et qu’il ne peut donc ni privilégier ni pénaliser une opinion religieuse (y compris, bien sûr, l’incroyance) plus que les autres.

Au-delà de ce principe généralement accepté et général, il reste des questions complexes sur lesquelles il existe des désaccords profonds. L’État manque-t-il à son devoir de neutralité, et enfreint-il donc la laïcité, lorsqu’il subventionne des écoles religieuses qui dispensent aussi un enseignement laïc? L’État doit-il accommoder des personnes aux croyances desquelles une loi généralement applicable impose un fardeau particulièrement lourd? Comment réconcilier la liberté religieuse et l’égalité? Ces questions méritent bien de faire l’objet de débats sérieux, mais la simple invocation du terme « laïcité » ne nous aidera pas à y répondre.

En effet, il n’existe pas de définition unique de ce concept. Pour M. Bastien, la laïcité consiste apparemment à interdire le voile intégral. Pour Bernard Drainville, elle consiste apparemment à garder un crucifix bien en vue à l’Assemblée nationale. Pour l’ex-candidate péquiste Louise Mailloux, à propager des théories du complot antisémites et islamophobes et à comparer le baptême au viol. Cependant, ces visions de la laïcité ― du reste, fort différentes les unes des autres ― ne sont pas les seules qui soient.

On peut aussi défendre une vision de la laïcité qui ne cherche pas à exclure l’expression de croyances religieuses, y compris des croyances religieuses minoritaires et impopulaires, de l’espace public. Une vision de la laïcité attentive au fait qu’une telle exclusion pèse plus lourd sur certains groupes religieux, dont la foi requiert le port de certains symboles visibles, que sur d’autres, dont celui qui se trouve à être majoritaire au Québec. Une vision de la laïcité fondée sur la conviction que la diversité d’une société est une richesse à mettre en valeur et non danger à refouler. Une vision de la laïcité, donc, qui la voit comme une contrainte à imposer à l’État et non aux citoyens.

M. Bastien a raison de d’affirmer que le débat sur les rapports entre la religion et l’État n’est pas terminé au Québec, pas plus qu’il ne l’est ailleurs, d’autant plus que, contrairement à ce qu’il laisse entendre, la montée du fondamentalisme religieux n’est pas la seule cause de conflit dans ce domaine. L’expansion de la réglementation de l’État, son intrusion dans de nouveaux domaines d’activités autrefois privées y est aussi pour beaucoup. Cependant, si le but visé est une société plus juste plutôt qu’une simple victoire partisane, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un débat sur le sens à donner à la laïcité plutôt que d’une confrontation entre défendeurs et adversaires de cette valeur, en réalité, commune.

Le visage de l’oppression

Dans une décision rendue hier, S.A.S. c. France, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que l’interdiction du voile intégral par la France n’enfreint pas la garantie de liberté religieuse de la Convention européenne des droits l’homme. Bien que les juges majoritaires soient manifestement sceptiques d’au moins certains des arguments invoqués au soutien de l’interdiction, ils acceptent (non sans hésitation), qu’un gouvernement démocratiquement élu peut raisonnablement conclure que celle-ci est nécessaire pour assurer la capacité des citoyens de vivre ensemble, et de protéger ainsi leurs droits, et qu’elle constitue donc une limite à la liberté de religion acceptable dans une société démocratique. J’aimerais commenter brièvement le raisonnement de la Cour, parce que les arguments qu’elle a acceptés ont trouvé écho de ce côté-ci de l’Atlantique. Ces arguments, pourtant, relèvent d’une pensée dangereusement oppressive.

Il faut souligner, cependant, que la Cour européenne a rejeté certains des arguments les plus communs au soutien des interdictions, plus ou moins étendues, du voile et d’autres « symboles religieux ostentatoires ». Le besoin d’assurer la sécurité peut justifier de demander aux personnes voilées de retirer leur voile pour être identifiées mais, sauf situation de crise, pas une interdiction générale. L’égalité entre les hommes et les femmes ne saurait être invoquée pour

interdire une pratique que des femmes – telle la requérante – revendiquent dans le cadre de l’exercice des droits [protégés], sauf à admettre que l’on puisse à ce titre prétendre protéger des individus contre l’exercice de leurs propres droits et libertés fondamentaux. (Par. 119)

Quant à la dignité humaine, il n’y a

aucun élément susceptible de conduire à considérer que les femmes qui portent le voile intégral entendent exprimer une forme de mépris à l’égard de ceux qu’elles croisent ou porter autrement atteinte à la dignité d’autrui. (Par. 120)

L’argument que la Cour accepte ― qu’elle dit « p[ouvoir] comprendre » ―, c’est que l’interdiction du voile intégrale sert à prévenir

des pratiques ou des attitudes mettant fondamentalement en cause la possibilité de relations interpersonnelles ouvertes qui, en vertu d’un consensus établi, est un élément indispensable à la vie collective au sein de la société considérée. La Cour peut donc admettre que la clôture qu’oppose aux autres le voile cachant le visage soit perçue par l’État défendeur comme portant atteinte au droit d’autrui d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble. (Par. 122)

La Cour accepte la prétention de la France à l’effet que l’interdiction du voile intégral sert à assurer le maintien de « conditions minimales de vivre-ensemble », parce qu’il est possible qu’

un État juge essentiel d’accorder dans ce cadre une importance particulière à l’interaction entre les individus et qu’il considère qu’elle se trouve altérée par le fait que certains dissimulent leur visage dans l’espace public. (Par. 141)

J’admets, volontiers, que l’interaction avec une personne dont le visage est voilée peut mettre mal à l’aise. Cependant, un malaise qu’on peut éprouver  face au voile intégral ne saurait justifier son interdiction générale. Je doute, en fait, que même dans les contextes où l’interaction n’est pas volontaire ― comme elle l’est, par exemple, pour un citoyen qui fait face à une fonctionnaire voilée ― le malaise que peut éprouver le citoyen, si compréhensible soit-il, soit une meilleure justification pour une interdiction que le malaise qu’on pu éprouver bien des gens dans le passé, et que certains éprouvent encore, face à la nécessité d’interagir avec une personne d’une autre race. Du reste, ceux qui soutiennent l’interdiction du voile sont les premiers à refuser toute concession à une personne qui refuserait d’interagir avec une fonctionnaire (ou un médecin, etc.) femme. La même logique ― le malaise face à la différence n’est pas un sentiment qu’une société égalitaire doit accommoder ― milite contre l’interdiction du voile même pour les fonctionnaires.

Quoi qu’il en soit, il faut davantage que de la sympathie pour les personnes contraintes à vivre un malaise pour justifier l’interdiction du voile intégral non seulement pour les personnes avec qui d’autres pourraient forcées d’interagir, mais pour quiconque se trouve dans l’espace public. À cet égard, le raisonnement de la Cour européenne est doublement pernicieux. D’une part, la prétention, que l’État puisse définir les « conditions minimales de vivre ensemble » sans égard à ce que les personnes qui vivent ensemble en pensent elles-mêmes est essentiellement totalitaire. Si j’accepte d’interagir, dans mes rapports privés, avec une personne voilée, de quel droit l’État peut-il me dire que je ne peux pas le faire? Le raisonnement accepté par la Cour autoriserait, par exemple, l’interdiction de l’usage de langues autres que celle de la majorité, et que sais-je encore. D’autre part, il y a également quelque chose de totalitaire à prétendre qu’il y a un quelconque « droit » d’entrer dans une « relation interpersonnelle ouverte » avec une autre personne, que cette personne le veuille ou non, droit que le port du voile par celle-ci compromettrait. Au contraire, si une personne ne veut pas interagir avec autrui, elle a parfaitement le droit de ne pas le faire. Si elle le manifeste, que ce soit par le port du voile ou d’une autre façon, c’est son affaire.

Les gouvernements qui imposent les interdictions sur le voile intégral, et les tribunaux qui avalisent ces interdictions, ne font pas que forcer des femmes à dévoiler leur visage. Ils dévoilent aussi le leur. Et c’est celui de l’oppression.

ADDENDUM: J’ai publié ce billet sans avoir pris le temps de lire le jugement dissident. Or, celui-ci affirme, fort justement (aux pars. 8-9) qu’

on peut difficilement prétendre que tout individu ait un droit d’entrer en contact avec d’autres personnes dans l’espace public contre la volonté de celles-ci. Sinon, pareil droit devrait avoir une obligation pour corollaire, ce qui serait incompatible avec l’esprit de la Convention. Si la communication est essentielle pour la vie en société, le droit au respect de la vie privée comprend également le droit de ne pas communiquer et de ne pas entrer en contact avec autrui dans l’espace public – en somme, le droit d’être un « outsider ».

 Il est vrai que le « vivre ensemble » requiert la possibilité d’échanges interpersonnels. Il est également vrai que le visage joue un rôle important dans les interactions humaines. Mais cette idée ne peut pas être détournée pour justifier la conclusion selon laquelle aucune interaction humaine n’est possible si le visage est intégralement dissimulé. Nous en voulons pour preuves des exemples parfaitement admis dans la culture européenne, tels que le port de casques intégraux pour la pratique du ski et de la moto, ou le port de costumes pendant le carnaval. Nul ne prétendrait qu’en pareilles situations (qui font partie des exceptions prévues par le droit français) les exigences minimales de la vie en société ne soient pas respectées. Les personnes socialisent sans forcément se regarder dans les yeux.

Cui Bono?

In a post published last week, Josh Blackman points to an important question that can help us think about the permissibility of public prayer ― not only prayer at municipal council meetings (the post’s immediate context), which the U.S. Supreme Court recently considered in Town of Greece v. Galloway (a case I briefly discussed here) and which the Supreme Court of Canada will consider in Mouvement Laïque Québécois v. City of Saguenay, but also other instances of public prayer. The question, which prof. Blackman argues is “almost outcome determinative,” concerns “the value of prayer.” As he points out, Justice Kennedy’s majority opinion in Town of Greece repeatedly emphasizes “the value of prayer as lending ‘gravity’ to the lawmaking process.” The dissent, while not rejecting prayer outright, does not seem to attach any particular value to it, and hence, says prof. Blackman, finds it easier to rule for those who object to the Town’s implementation of the prayer. The question of the “value of prayer” is indeed an important one. All the more so since this value can be not only positive (as the majority in Town of Greece and prof. Blackman himself seem to believe) or nil (as the Town of Greece dissenters might think), but also negative, even apart from cases of explicit or implicit coercion.

I have to say that I am much more skeptical than Justice Kennedy or prof. Blackman about whether prayer really has much of a positive value in setting the tone for the deliberations of a legislature or of a town council. There seems to be little evidence, for instance, that the prayers in the U.S. Congress (or in the Canadian Parliament) succeed at “remind[ing] lawmakers to transcend petty differences in pursuit of a higher purpose” (Town of Greece, p. 6), although I suppose one can always say that their petty differences might get even worse than they already are without the benefit of legislative prayers. And while I haven’t studied the issue, of course, I rather doubt that Saguenay’s municipal council does a much better job than those of neighbouring municipalities which do not open their council meetings with prayers, or indeed that its own performance improved in any noticeable way when the Mayor Tremblay went on his prayer crusade.

For my part, I suspect that public prayer is often the product of a familiar public choice problem: officeholders using the powers of their office to advance their personal interests and pet causes, not for the benefit of the public, but rather at its expense. Of course, such roads or bridges to nowhere, monuments to former leaders of the politicians’ parties, and assorted other white elephants are presented and defended as being in the public interest. But what they really do use the resources taken from the public as a whole ― or, “better” yet, from electoral minorities not part of the politicians’ coalitions ― for the benefit of the politicians, their friends, or their supporters. Of course, legislative prayer does not necessarily involve a transfer of public funds (the chaplains who led the prayers in Town of Greece were volunteers; the mayor of Saguenay hasn’t, so far as I know, got a pay raise to compensate him for his new task of leading the municipal council’s prayers). But the principle remains the same: religious majorities of municipal councils or legislatures set up a prayer regime which advances their conception of religion and/or of the duties of a religious official, and possibly also wins them the support of some religious voters, while imposing a cost, no less real for being emotional rather than pecuniary (and even for not reaching the threshold of coercion!) on religious minorities whose political support they can afford to dispense with.

This approach to public prayer ― asking what its value is, and paying attention to public choice concerns ― also helps explain why, to me at least, the prayers at Remembrance Day ceremonies (which, as I wrote here, the Supreme Court may want to distinguish from the municipal council prayers) do not seem to raise the same concerns as legislative prayer. Remembrance Day prayers are, arguably, not for the benefit of politicians (who might have had little to do with their inclusion in the ceremonies), but of the members of the Canadian forces, the veterans, and their families. And even if some members of the public who attend the ceremony do not like the prayers, that cost, in that specific context, does not matter. We do not attend (or watch) these ceremonies for our own sake, but to pay respect to the veterans and the victims of the wars. It is their day, not ours, and our own feelings are very much secondary.

That is not true in the case of municipal council meetings, however. If politicians are public servants, as they claim to be, then what matters is their prayers’ benefits and costs to the public. Officeholders should not be able to hide between specious claims that prayers set the right tone for their partisan squabbles, otherwise known as deliberations, while in reality favouring their religious feelings, or constituents, at the expense of dissenters.

All Greek

On Monday, the Supreme Court of the United States delivered its judgment in the case of Town of Greece v. Galloway, finding constitutional the town’s practice of opening the monthly meetings of its board with a prayer read by a “chaplain of the month,” chosen from among the town’s religious congregations. I have blogged about this case here and here, because the issue it presented seems, at first glance anyway, very similar to that which the Supreme Court of Canada will have to decide in Mouvement Laïque Québécois v. City of Saguenay, which is also about a town opening its council meetings with a prayer. However, the decision of the Supreme Court of the U.S. is further proof of what I had already noted: the two cases are more different than they might seem, not only in their facts but also in the relevant precedents and legal traditions, so that there relatively few lessons to be drawn from one to the other.

Briefly, there are two main components two Justice Kennedy’s majority opinion in Town of Greece. One is an originalist or, perhaps more accurately, historicist argument to the effect that, because legislative prayer has always been a feature of American life, since the very first Congress, the same one which adopted the constitutional protections of religious freedom, paid a chaplain to open its sessions with prayer, these constitutional protections cannot be read to render such prayer impermissible. Indeed,

it is not necessary to define the precise boundary of the Establishment Clause where history shows that the specific practice is permitted. Any test the Court adopts must acknowledge a practice that was accepted by the Framers and has withstood the critical scrutiny of time and political change. (8)

The second component of Justice Kennedy’s opinion is his insistence that “non-establishment” of religion requires not the removal of religion, whether sectarian or generic, from the public sphere, but something like non-discriminatory access for different religious sects. Legislative prayers need not be generic; they can be as sectarian as the chaplains delivering them wish them to be, at least so long as they do systematically exclude or demean people of other faiths. Indeed, it would be impermissible for government (whether the Town’s authorities or a court) to police a chaplain’s words in order to expunge from them impermissible sectarianism. Short of systematic disparagement and exclusion, it is enough that the authorities inviting chaplains not unduly favour those of one religious group.

Justice Kagan’s dissent disputes not the majority’s general arguments, but its view of the practice in the case at bar. She too thinks that history justifies and validates legislative prayer. She too thinks that prayer need not be cleansed of sectarian elements. Unlike Justice Kennedy, she thinks that the Town’s almost unvarying choice of Christian chaplains amounted to an alignment of the Town with one religion, breaching the principle not so much of separation between church and state as of equality. With more diversity, including efforts to reach out to minority religious groups, the prayer would have been fine.

None of this will be very helpful to the Supreme Court of Canada when it considers the,  prayer in Saguenay. At the level of facts, Saguenay’s prayer practice is almost the opposite of that approved in Town of Greece. The text of Saguenay’s prayer is a purportedly ecumenical one, mandated by a municipal by-law, and it is read by the mayor himself. Despite a superficial inclusiveness (more apparent than real, since it excludes non-believers as well the adherents of non-monotheistic religions), it arguably entangles the municipality with religion to a greater extent than the invocations read by invited chaplains. As for reasoning, the American historicist approach is unlikely to be of much assistance to the Supreme Court of Canada, which has consistently rejected it in Charter cases.

The Supreme Court of Canada will thus need to craft its own approach to the issue of prayer before a municipal council. Although it is always best to try to learn from what our neighbours do, it is not always possible. In this case, the American approach cannot provide much, if any, useful guidance. It is, really, all Greek to us.