N’importe quoi

La contestation de la nomination du juge Leckey à la Cour supérieure est sans fondement

Selon un article de la Presse canadienne publié dans La Presse, Droits collectifs Québec, un organisme dirigé par Daniel Turp conteste la légalité et la constitutionnalité de la nomination de Robert Leckey à la magistrature. Ancien professeyr et doyen à McGill, M. Leckey siège désormais à la Cour supérieure du Québec. Or, il n’a été membre du Barreau du Québec que pendant sept ans, ce qui, selon le recours en question, serait insuffisant. Cette contestation rappelle, bien sûr celle de la nomination du juge Nadon à Cour suprême et du juge Mainville à la Cour d’appel. La première, qui a été couronnée de succès avec l’avis de la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, aura été une tragédie, tant pour le juge Nadon que pour le système judiciaire canadien. La deuxième, un pétard mouillé, ayant donné lieu à un brévissime jugement oral dans Québec (Procureure générale) c Canada (Procureur général), 2015 CSC 22. Celle-ci est bel et bien une farce.

L’éligibilité au poste de juge de la Cour supérieure au Canada est régie par deux sources complémentaires : d’une part, les articles 97 et 98 de la Loi constitutionnelle de 1867, l’un applicable aux provinces de common law, l’autre au Québec ; de l’autre, l’article 3 de la Loi sur les juges. Ni l’une ni l’autre, ni la combinaison des deux, n’a l’effet que leur impute Droits collectifs Québec (et, ce qui est décevant, l’article de la Presse canadienne).

La Loi constitutionnelle de 1867, et son article 98, celui qui est pertinent dans le cas qui nous occupe, dispose que « [t]he Judges of the Courts of Quebec shall be selected from the Bar of that Province ». On constatera que, si le fait d’avoir été membre du Barreau du Québec préalablement à la nomination à la magistrature est nécessaire, il n’y a rien dans le texte de l’article 98 sur le moment ou la durée de cette appartenance. Dans l’affaire Mainville, le gouvernement québécois s’était opposé à la nomination à la Cour d’appel du Québec d’un ancien membre du Barreau qui, entre-temps, avait siégé à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale. Or, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême (qui a « essentiellement » adopté ses motifs) n’ont pas retenu cet argument. (J’ai beaucoup écrit sur cette saga ; voir notamment ici et ici). L’enjeu qui se pose avec la nomination du juge Leckey n’est pas exactement le même — il s’agit non pas de l’actualité de son appartenance au Barreau du Québec, mais de la durée de celle-ci. Cependant, le problème auquel la contestation se bute est le même : le texte constitutionnel n’impose tout simplement pas l’exigence qu’elle cherche à faire reconnaître.

La durée minimale d’appartenance à un barreau n’est tout simplement pas une exigence constitutionnelle. Elle est imposée par la Loi sur les juges — mais en des termes qui, encore là, n’aident en rien le recours contre la nomination du juge Leckey. La partie pertinente du paragraphe 3(a) dispose que « [p]euvent seules être nommées juges d’une juridiction supérieure d’une province, si elles remplissent par ailleurs les conditions légales, les personnes qui […] sont des avocats inscrits au barreau d’une province depuis au moins dix ans ». Le législateur aurait très bien pu dire quelque chose comme « inscrits au barreau de la province en question ». Il ne l’a pas fait. « Une province », n’importe laquelle. Ce que confirme le texte anglais, encore plus limpide : « No person is eligible to be appointed a judge of a superior court in any province unless, in addition to any other requirements prescribed by law, that person … is a barrister or advocate of at least 10 years’ standing at the bar of any province » (mes italiques).

Le juge Leckey a été, si je comprends bien, membre du Barreau de l’Ontario pendant bien plus de dix ans, depuis son stage à la Cour suprême au début des années de 2000. Le fait qu’il n’ait été membre du Barreau du Québec que depuis sept ans, et non pas dix, est donc sans importance. Le fait d’il l’ait été remplit le critère de l’article 98 ; et son ancienneté totale, en Ontario et au Québec, remplit le critère de l’article 3.

Il reste un appel à l’ « l’esprit de la Loi constitutionnelle de 1867 » ou, comme on dirait en anglais (australien), à la vibe of the thing.

Ça a marché dans le cas de la nomination du juge Nadon, mais il y avait là un argument sérieux — pas convaincant, selon moi, mais sérieux — fondé sur l’interprétation des textes législatifs (ou constitutionnels, de dire la Cour suprême). L’argument fondé sur la confiance du public québécois, si bidon soit-il, pouvait faire une différence lorsqu’il s’agissait d’élucider un texte un peu mal fait, mais portant sur une institution au coeur du système constitutionnel canadien. Or, dans l’arrêt Mainville, la Cour suprême a rejeté le parallèle entre l’interprétation de ces dispositions et celle de l’article 98 de la Loi constitutionnelle de 1867 du revers de la main.

La contestation de la nomination du juge Leckey n’est pas sérieuse. Elle n’ira nulle part, et c’est très bien ainsi. Car, malgré ce que M. Turp et cie disent sur la prétendue confiance du public, M. Leckey la mérite amplement. La liste de ses publications — dont celles consacrées directement au droit québécois de la famille, sans parler de celles en droit constitutionnel canadien, qui fait partie du droit québécois que M. Turp le veuille ou non — ne peut que susciter l’admiration (et, pour un chercheur, un brin d’envie). Qu’on le laisse faire son travail. Le Québec ne manque assurément pas de problèmes réels. Ce qui mine la confiance que pourraient mériter les institutions québécoises, ce n’est pas la présence d’un Robert Mainville ou d’un Robert Leckey en leur sein, mais bien les tentatives incessantes de les mettre au service de l’exclusion de tout ce qui leur est prétendument étranger.



One response to “N’importe quoi”

  1. Bonjour M. Sirota,

    J’espère que vous allez bien.

    Vous savez certainement que la vitalité d’une démocratie dépend notamment de la capacité qu’ont les citoyennes et les citoyens de débattre entre eux à propos des divers enjeux sociaux, politiques, culturels, économiques et j’en passe auxquels fait face leur société.

    Or, vous conviendrez peut-être que de ridiculiser la “partie d’en face” n’est certes pas un comportement, une stratégie qui favorise des échanges fructueux, sains et donc porteurs d’un certain espoir de voir les choses s’améliorer.

    Bref, votre ligne éditoriale ne vous honore pas, et porte ombrage à un argumentaire qui mérite d’entre entendu… cela même si je suis en total désaccord avec ce dernier.

    À bon entendeur, salut!

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