J’ai déjà écrit quelques billets sur l’effet réel des restrictions sur le droit des citoyens, d’organisations ou des groupes, autres que les candidats et les partis politiques, de dépenser de l’argent pour prendre part au débat public pré-électoral. Comme j’ai souligné ici et ici, au Canada, ce sont surtout des syndicats qui se sont heurté à ces restrictions. Le mouvement étudiant aussi a dû s’ajuster pour respecter ces restrictions, comme je l’avais prévu dans cette chronique. Bref, plutôt que de limiter le pouvoir des riches, ces lois empêchent de s’exprimer ceux qui, sans être riches (voire même aisés) individuellement, sont en mesure de réunir des fonds assez considérables en agissant collectivement.
Ce matin, Radio-Canada décrivait une autre conséquence de ces restrictions. Le Directeur général des élections envisage, selon ce reportage, de poursuivre Yves Michaud pour avoir fait publié dans le Devoir une publicité appelant les électeurs à défaire certains députés, de tous les principaux partis. Il leur en veut d’avoir voté, il y a douze ans, en faveur d’une motion de blâme à son endroit après qu’il eut fait une déclaration que tous les membres de l’Assemblée nationale avaient jugée antisémite. Or, l’article 413 de la Loi électorale interdit à quiconque n’est pas un agent officiel d’un candidat ou d’un parti d’engager, durant la campagne électorale, des dépenses visant à favoriser ou à défavoriser l’élection d’un candidat. M. Michaud est un simple citoyen et non l’agent officiel de qui que ce soit, alors à première vue, il semble effectivement avoir enfreint la loi.
M. Michaud n’est certes pas très sympathique. Mais, tout comme avec les syndicats et les carrés rouges, qu’on peut ne pas trouver sympathiques non plus, là n’est pas la question. Si peu sympathique soit-il, est-il juste de lui interdire de s’exprimer en période électorale? Il est vrai, il a le droit de faire publier une lettre ouverte, ou encore de s’exprimer sur internet, à condition, dans les deux cas, de ne pas payer pour la transmission de son message. Mais internet, ce n’est pas encore pour tout le monde. Quant à publier une lettre ouverte, une homme odieux, ou un homme qui poursuit une vendetta essentiellement personnelle – et a fortiori celui qui, comme M. Michaud, est les deux – risque de ne pas s’attirer la sympathie d’une rédaction qui, après tout, dispose d’un espace limité pour publier le courrier des lecteurs.
Une opinion impopulaire peut être difficile à exprimer. Mais – c’est la beauté du système capitaliste – une opinion qu’un journal ne veut pas propager à ses frais peut quand même être diffusée – à titre de publicité payante. M. Michaud était donc prêt à payer pour faire diffuser son opinion impopulaire. Mais bien sûr, cette opinion, c’est que certains députés sont, selon les termes de sa publicité, “indignes d’être élus”, il voulait la diffuser, justement, en période électorale. Ce que la loi lui interdit.
Quel est donc l’effet de cette interdiction dans ces circonstances? Ce n’est pas, je soupçonne, d’empêcher la richesse de subvertir le processus démocratique. La publicité a dû coûter quelques milliers de dollars à peine, elle étai dirigée contre des candidats des trois principaux partis, elle ne visait ni à protéger les riches d’une redistribution de la richesse ni à s’attirer les faveurs du prochain gouvernement. C’est, plutôt, d’empêcher la diffusion d’un message qui est, à la fois, impopulaire et inextricablement lié à une élection. C’est de faire en sorte qu’un citoyen qui se sent attaqué par une décision des législateurs n’est pas libre de leur répliquer sur la place publique au moment où les autres citoyens, et donc les législateurs, sont les plus susceptibles de l’écouter.
La diffusion des idées impopulaires, le libre choix électoral et la possibilité pour les citoyens de critiquer ceux qui les gouvernent sont au coeur de la protection de la liberté d’expression. La Loi électorale québécoise ne fait pas que baliser ce droit. Elle y est une atteinte profonde.
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