Sauter sans parachute

Les députés québécois qui quittent l’Assemblée nationale, que ce soit par une démission, suite à une défaite électorale ou en ne se représentant pas à une élection, ont droit à ce qu’on appelle, dans le monde des affaires, un parachute doré ― une « allocation de transition » équivalant à deux mois de salaire par année passée à l’Assemblée nationale, jusqu’à concurrence de l’équivalent d’un salaire annuel, tel que décrété par les arts. 12 et 13 de la  Loi sur les conditions de travail et le régime de retraite des membres de l’Assemblée nationale, L.R.Q., c C-52.1. Or, selon ce que rapporte Radio-Canada, le gouvernement du Québec propose de changer les conditions d’éligibilité à cette allocation, pour y rendre inadmissibles les députés qui démissionnent en cours de mandat, sauf ceux dont la démission est causée par des raisons de santé ou familiales, confirmées comme telles par le commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale. Ceux qui sont tentés de sauter devraient le faire sans parachute.  C’est une mauvaise idée, qui ne fera rien pour avancer son but déclaré, celui de « rétablir la confiance et combattre le cynisme » envers le système politique. En fait, si elle est adoptée, cette mesure aura des effets pervers facilement prévisibles qui seront probablement  plus grand que tout bénéfice dont on pourrait en retirer.

Ce n’est pas la première fois que ce gouvernement propose des solutions ineptes au problème, réel ou apparent, du désengagement, voire du mépris, des citoyens envers la politique. Il y a quelques mois, c’est aux députés transfuges, qui changent d’allégeance partisane en cours de mandat, qu’il s’attaquait ― une proposition que j’avais décrit comme une mauvaise solution en quête de problème. Plus tôt, et avec l’accord des autres partis politiques, c’étaient les dons aux partis politiques supérieurs à 100$ qu’il a interdits, une interdiction à mon avis inconstitutionnelle, et susceptible de faire plus de mal que de bien. Ce que tous ces projets ont en commun, c’est qu’ils font abstraction, au nom d’un certain idéal de pureté politique, des effets que leur mise en oeuvre aura en réalité.

L’objectif de la modification proposée aux règles d’éligibilité à l’allocation de transition est de forcer les députés à terminer un mandat pour lequel ils ont été élus. Selon Radio-Canada, Bernard Drainville, le ministre responsable de ce projet (comme des autres que je viens de mentionner) croit qu’ « [u]n élu qui choisit de son plein gré de démissionner en cours de mandat ne respecte pas le contrat moral qu’il a pris avec ses électeurs ». Or, de toute évidence, les électeurs n’en veulent pas particulièrement à de tels élus. Comme le soulignait aussi Radio-Can, je crois, dans une de ses émissions aujourd’hui, la chef du parti de M. Drainville, Pauline Marois, avait démissionné en 2006, disant que « le coeur n’y [était] plus ». Ça ne l’a pas empêchée d’être ré-élue en 2007, et éventuellement de devenir première ministre.  Le contrat moral dont M. Drainville parle existe-t-il vraiment? C’est au mieux incertain, et il y a de bonnes raisons de croire que même si tel est le cas, il n’est pas assez fort pour que son renforcement change grand chose à la perception qu’ont les citoyens de la politique.

Ce qui est certain, par contre, c’est que forcer des députés à compléter leur mandat aura des effets pervers. On souligne, par exemple, que ça empêcherait un député de démissionner pour céder son siège au chef de son parti si celui-ci n’est pas membre de l’Assemblée nationale, une pratique assez courante (et à laquelle le Parti libéral du Québec pourrait vouloir ou devoir recourir, son nouveau chef, Philippe Couillard, n’étant pas député). De façon tout aussi néfaste, cela inciterait un député empêtré dans des problèmes éthiques, voire accusé au criminel, à s’accrocher à son siège plutôt que de démissionner et le céder à un autre, qui serait susceptible de mieux représenter les électeurs. Et plus généralement, les citoyens ne seraient pas bien servis par un député dont le coeur, comme celui de Mme. Marois à l’époque, n’y est plus, et qui ne se pointe à l’Assemblée nationale que pour pouvoir éventuellement percevoir son allocation. La réforme prônée par M. Drainville aurait pourtant pour effet probable de créer de tels zombies.

Elle est donc, comme celles qui l’ont précédée, inutile et même dangereuse. En fait, ce qui, selon moi, cause le désengagement, voire le cynisme des citoyens envers la chose publique, ce ne sont pas tant les transfuges, les démissionnaires, ni même l’argent en politique, mais plutôt la perception commune que les politiciens se préoccupent de problèmes fort différents de ceux qui concernent les citoyens. Les réformes de M. Drainville ne font rien pour changer cette perception ― elles la confirment.

Author: Leonid Sirota

Law nerd. I teach public law at the University of Reading, in the United Kingdom. I studied law at McGill, clerked at the Federal Court of Canada, and did graduate work at the NYU School of Law. I then taught in New Zealand before taking up my current position at Reading.

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