Radio-Canada rapporte que le gouvernement du Parti québécois n’a jamais obtenu un avis juridique formel des avocats du Ministère de la justice au sujet de la constitutionnalité de son projet de Charte de la honte. Le seul avis qu’il a obtenu était celui d’Henri Brun au sujet des « orientations » dont le dévoilement a précédé le dépôt du projet de loi. S’agissant d’un projet dont la constitutionnalité était fortement contestée (en fait, c’est un euphémisme pour dire qu’il y avait consensus à l’effet que le projet était inconstitutionnel) dans l’opinion publique et par les experts, et allait inévitablement l’être devant les tribunaux, cette nouvelle se passe de commentaire. Et, heureusement, le gouvernement qui se foutait ainsi de la constitution a été battu, son projet est mort et enterré.
Ce qui mérite un commentaire cependant, c’est une faiblesse des arrangements institutionnels québécois qui a rendu cet aveuglement volontaire possible. Au niveau fédéral, des règlements obligent le Ministre de la justice de vérifier la compatibilité de tout projet de loi ou règlement avec la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits. L’article 6 des deux règlements (ils sont identiques sur le fond) dispose qu’en cas d’incompatibilité du projet examiné avec le document (quasi-) constitutionnel en cause, le Ministre doit faire rapport à la Chambre des communes. Ces règlements n’ont pas d’équivalent québécois, ce qui fait en sorte qu’un gouvernement qui ne se soucie pas de la constitutionnalité d’un projet de loi auquel il tient pour des raisons politiques n’est pas obligé d’obtenir un avis juridique qui pourrait rendre sa situation inconfortable.
Évidemment, il serait très utile qu’un tel processus obligatoire soit en place. Certes, ce ne serait pas une panacée. Certains projets de loi qui passeraient ce test seraient quand même invalidés par les tribunaux suite à leur adoption. N’empêche, dans un État de droit, la constitutionnalité des projets de loi ou de règlements devrait être une préoccupation constante. De plus, forcer les élus, et non seulement les juges, à réfléchir à la constitutionnalité de leurs projets aiderait non seulement à empêcher l’adoption de lois manifestement invalides, mais aussi à nourrir un dialogue plus sain et plus riche entre la législature et les tribunaux. Par ailleurs, le Québec a cette particularité que ses lois doivent se conformer non seulement à la Charte canadienne, mais aussi à une charte québécoise, la Charte des droits et libertés de la personne, qui est, à certains égards, différente de la Charte canadienne et plus complète que cette dernière. Vérifier la compatibilité de projets de loi étudiés par l’Assemblée nationale avec la Charte québécoise serait un bon moyen de souligner l’importance de cette loi quasi-constitutionnelle distinctive.
Ce serait, surtout, une façon de faire ressortir quelque chose de positif d’un épisode lamentable de l’histoire récente du Québec. Et de réduire les chance qu’un tel aveuglement volontaire face aux droits et libertés des Québécois ne se reproduise à l’avenir.