Les Mal-Famés

Je voudrais commenter brièvement sur la nouvelle qu’une Montréalaise qui s’était opposée à feu le projet péquiste de Charte de la honte dans les médias, Dalila Awada, poursuit certaines personnes et organisations qui, suite à son intervention, l’ont décrite comme associée à des organisations musulmanes, voire une agente d’extrémistes islamistes. Ce faisant, soutient-elle, ils auraient provoqué une vague de harcèlement à son endroit, lui auraient causé du stress et fait perdre des amis. Je ne connais pas vraiment le droit québécois de la diffamation (je présume que le recours de Mme Awada en est un en diffamation, essentiellement), donc je ne dirai rien de ses chances de succès. Par contre, je vais souligner un certain parallèle historique qui me paraît pertinent, surtout à la lumière des (prévisibles) commentaires d’une des personnes visées par la poursuite, Louise Mailloux, cette ex-candidate péquiste, professeure de philosophie de son métier, qui propage dans ses temps libres de viles théories de complot et compare le baptême à un viol.

Selon l’article de La Presse,

Mme Mailloux considère que cette poursuite vise à les réduire au silence. […] «On a décidé d’attaquer sur le plan juridique pour nous réduire au silence, pour nous intimider, nous isoler. Ce qui est en cause ici, c’est la liberté d’expression, la liberté de participer à un débat public», a indiqué Mme Mailloux.

Il y a une ironie amèrement délicieuse à voir Mme Mailloux, qui défend la limitation la plus stricte d’un droit fondamental des autres réclamer pour soi la liberté (d’expression) la plus complète, non-encombrée par des limites que le droit ou la simple décence imposent pour protéger la réputation des personnes, y compris de celles engagées dans des débats publics. Mais au-delà de cette ironie, il faut se rappeler l’importance du droit pour protéger les personnes vulnérables dans des situations où les passions, les préjugés et les peurs de la société sont déchaînés.

L’exemple historique qui nous le rappelle, c’est une décision de la Cour du Banc de la Reine du Québec (devenue depuis la Cour d’appel), Morin c. Ryan, [1957] Q.B. 296 (Qc) (la décision n’est pas disponible en ligne, malheureusement. Je me fie à des notes prises il y a quelques années, dans le cadre d’un projet de recherche). Les années 50 étaient une époque où les communistes étaient, pour les Nord-Américains, y compris les Québécois, ce que sont aujourd’hui les islamistes. C’était l’époque où le Québec avait sa fameuse « Loi du cadenas », à laquelle le projet de Charte de la honte était d’ailleurs semblable à certains égards. Dans ce contexte social trouble, le défendeur avait accusé la demanderesse d’être une communiste militante, et elle l’a poursuivi en diffamation. Ironiquement, le défendeur semble avoir soutenu que le communisme n’était qu’une idéologie comme les autres, et que qualifier quelqu’un de communiste n’était donc pas diffamatoire. Le juge McDougall a reconnu cette possibilité, mais il a statué, aux pp. 297-98, que

having regard to public opinion and in a given territory, it may well be that the word “communist” will connote the Marxist subversive revolutionary type of communism which would be objectionable in any part of Canada. In the present case the evidence is to the effect that communism, at least in the Province of Quebec, means this revolutionary subversive type. … In the circumstances I agree … that the language used by defendant is defamatory.

(Le juge Hyde était du même avis, p. 300.) La Cour a donné raison à la demanderesse, condamnant le défendeur à lui payer 500$ à titre de dommages moraux.

Cette poursuite était-elle un moyen de réduire au silence un honnête citoyen préoccupé par la subversion communiste? Ou était-elle plutôt, comme l’a dit F.R. Scott (dans un article intitulé, “The Bill of Rights and Quebec Law”, dans Essays on the Constitution: aspects of Canadian law and politics (Toronto: University of Toronto Press, 1977) 325 à la p. 328), « a healthy check on incipient McCarthysm [sic] »? Selon moi, c’est Scott qui avait raison. Et, face au Maccarthysme renouvelé que d’aucuns voudraient nous faire vivre au Québec, le droit civil n’a pas perdu son importance. Certes, le débat public doit rester vigoureux, et peut à l’occasion être blessant pour des personnes dont les opinions y sont malmenées. Cependant, les attaques qui visent non plus les opinions, mais sur les personnes et, surtout, lorsqu’elles le font à coups de mensonges ou d’insinuations non-fondées, elles ne contribuent plus au débat public. Au contraire, elles en érodent la qualité, notamment en dissuadant ceux qui auraient quelque chose à y contribuer d’y prendre part.

Quel que puisse être le résultat de la poursuite de Mme Awada, ce n’est pas elle, mais bien Mme Mailloux et ses semblables qui font de l’intimidation et tentent de réduire ceux qui sont en désaccord avec eux au silence. Ce sont eux, et non Mme Awada, qui méritent d’être mal-famés.

Author: Leonid Sirota

Law nerd. I teach public law at the University of Reading, in the United Kingdom. I studied law at McGill, clerked at the Federal Court of Canada, and did graduate work at the NYU School of Law. I then taught in New Zealand before taking up my current position at Reading.

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