Un imam turbulent

La ministre de l’Immigration et de la pensée unique Diversité, Kathleen Weil, se sentait un peu comme Henri II ces derniers jours. « N’y aura-t-il personne », se demandait-elle, « pour me débarrasser de cet imam turbulent? » L’imam, Hamza Chaoui, est turbulent, il est vrai. La démocratie, l’égalité, et la liberté religieuse ― bref, « nos valeurs », comme disait la ministre ― il n’en a rien à foutre. Sauf que ses propos, si détestables soient-ils, ne sont pas illégaux, autant qu’on sache. Pas grave, puisque les preux chevaliers Réal Ménard, maire de l’arrondissement Hochelaga-Maisonneuve et Denis Coderre, maire de Montréal vont s’occuper de faire taire M. Chaoui. Pas à coups d’épée, bien sûr, on n’est pas au 12e siècle quand même. L’arrondissement adoptera un règlement pour interdire l’enseignement religieux dans un centre culturel, comme celui que l’imam se proposait d’y ouvrir.

Yves Boisvert souligne, fort justement, qu’à peine quelques semaines après les grandes professions de foi en défense de la liberté d’expression, y compris, bien sûr de la liberté d’expression offensante, « [c]et imam met tout le monde politique devant ses vrais principes ». Des principes qui, s’ils permettent à nos politiciens de défendre notre droit de rire des religions minoritaires, ne les rendent manifestement pas capables de tolérer un discours qui heurte les valeurs majoritaires, dont la liberté d’expression ne fait pas vraiment partie, quoi que les politiciens en disent.

Un autre parallèle historique plus récent s’impose aussi, celui avec l’époque duplessiste. Une époque ou, comme maintenant semble-t-il, on se servait de règlements municipaux pour empêcher la diffusion d’idées religieuses que la majorité trouvait choquantes. Le règlement en cause dans l’arrêt Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 S.C.R. 299, qui exigeait que toute publication distribuée dans les rues de la ville soit préalablement approuvée par le chef de police, était peut-être d’apparence plus sordide, mais celui proposé par MM. Ménard et Coderre n’est pas tellement mieux. Il ne s’agit pas de véritable réglementation municipale ― l’interdiction d’enseigner la religion dans un centre communautaire n’a rien avoir avec la circulation, la propreté, le bruit, bref, le genre de chose qu’une municipalité réglemente en temps normal.

Et, sans me lancer dans une analyse détaillée ici, cette interdiction me paraît très suspecte constitutionnellement. Sur le plan du partage des compétences, l’arrêt Saumur, comme l’expliquais ici, suggère qu’une province et, par conséquent, une municipalité, ne peut adopter une loi dont le caractère  véritable consiste à réglementer la religion. Un autre arrêt de la Cour suprême, de la même époque, est également pertinent ― celui invalidant la « loi du cadenas », Switzman v. Elbling, [1957] S.C.R. 285. Le Québec avait défendu cette loi, qui interdisait l’usage d’un immeuble pour propager le communisme, comme visant la prévention du crime, ce qui, comme je l’écrivais déjà ici, rappelle les tentatives actuelles des politiciens québécois de contrer l’ « extrémisme » ou la « radicalisation ». La Cour suprême a statué qu’il ne s’agissait pas de prévention, mais de répression, qui n’était pas du ressort des provinces. Et puis, bien sûr, il y a les Chartes canadienne et québécoise. Selon La Presse, M. Coderre, lui, « [s]e sen[t] très solide » face à une éventuelle contestation juridique. Il ne devrait pas.

Il convient de se rappeler le paroles du juge Rand, dans ses motifs dans Switzman:

Le but de la loi [du cadenas] est […] de prévenir ce qu’on considère comme un empoisonnement des esprits, de protéger l’individu de l’exposition aux idées dangereuses, bref, de le défendre contre les propensions de sa propre pensée. (305; je traduis.)

Or, explique le juge Rand, le choix d’un gouvernement démocratique implique « la capacité des hommes, agissant librement et sous des contraintes qu’ils s’imposent eux-mêmes, de se gouverner » (306). En d’autres mots, en démocratie, on doit faire confiance à ses concitoyens. On doit croire que, s’ils sont exposés à des « idées dangereuses », ils auront assez de discernement et de capacité de se contrôler pour ne pas les mettre en oeuvre. Cette confiance nous fait cruellement défaut.

Il y a pourtant quelque chose de paradoxal dans l’obsession collective avec l’extrémisme religieux. Personne ne s’empresse de renommer les rues Laflèche ou Bourget, disons, partout au Québec, pour ce que les évêques ultramontains ont fait, des décennies durant, à la démocratie. Ni la station de métro nommée en l’honneur de l’auteur de L’Appel de la Race. Oh, et le fameux crucifix installé par Maurice Duplessis, il est toujours à l’Assemblée nationale. Le paysage (symbolique) québécois est parsemé d’éloges d’un passé, pas si lointain, qui n’était pas si différent des fantasmes de M. Chaoui. En fait, nos apôtres de la laïcité disent que c’est précisément au nom de la grande rupture avec ce passé qu’il faut faire taire les imams turbulents, et empêcher leur femme de porter un niqab. Mais le paysage, lui, ne change pas. Ça ne toucherait pourtant les droits de personne que de commencer par nous en occuper.

L’imam Chaoui, quant à lui, n’est pas Thomas Becket. Personne, j’espère, ne le canonisera. En fait, il semble bien que ses propres co-religionnaires ne veulent rien savoir de lui. Mais ce n’est pas une raison pour en faire un martyre de la liberté d’expression.

Author: Leonid Sirota

Law nerd. I teach public law at the University of Reading, in the United Kingdom. I studied law at McGill, clerked at the Federal Court of Canada, and did graduate work at the NYU School of Law. I then taught in New Zealand before taking up my current position at Reading.

4 thoughts on “Un imam turbulent”

  1. Bravo! Cet usage d’un règlement municipal pour bloquer un discours déplaisant pour certains est répugnant,

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