La question de l’application de règles de la Loi électorale québécoise concernant les dépenses électorales des citoyens à des activités sur internet, que j’ai déjà abordée ici et ici, refait encore surface. Selon un article de Radio-Canada, le Directeur général des élections a d’abord conclu que liberaux.net, un site farouchement opposé au Parti libéral du Québec, controvenait à la Loi électorale, qui limite sévèrement les dépenses que toute personne autre qu’un parti politique ou un candidat peut encourir en période électorale pour favoriser ou défavoriser l’élection d’un parti ou d’un candidat; moins de 24 heures plus tard, le DGE a changé d’idée.
Selon Radio-Canada, le DGE a conclu que liberaux.net était un « média citoyen [similaire] à l’un de ceux qui bénéficient de l’exception prévue à l’article 404 de la Loi électorale premier paragraphe, lequel garantit la liberté d’expression des médias en spécifiant qu’il ne s’agit pas d’une dépense électorale ». La créatrice du site insiste, elle aussi, sur le fait qu’elle est une simple citoyenne. Elle n’aurait, en fait, rien dépensé pour créer le site, sauf son travail bien sûr, et l’hébergement du site lui aurait été offert gratuitement.
Selon moi, le DGE a tort dans son interprétation de la Loi électorale. Il l’interprète pour lui faire dire ce qu’elle devrait peut-être dire, mais qu’elle ne dit pas. La disposition pertinente, le paragraphe 1 de l’article 404, exclut de la définition de « dépenses électorales »
la publication, dans un journal ou autre périodique, d’articles, d’éditoriaux, de nouvelles, d’entrevues, de chroniques ou de lettres de lecteurs, à la condition que cette publication soit faite sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense, qu’il ne s’agisse pas d’un journal ou autre périodique institué aux fins ou en vue de l’élection et que la distribution et la fréquence de publication n’en soient pas établies autrement qu’en dehors de la période électorale.
Le texte anglais de cette disposition parle de
the cost of publishing articles, editorials, news, interviews, columns or letters to the editor in a newspaper, periodical or other publication, provided that they are published without payment, reward or promise of payment or reward, that the newspaper, periodical or other publication is not established for the purposes or in view of the election and that the circulation and frequency of publication are as what obtains outside the election period.
Le problème de liberaux.net, c’est qu’il ne s’agit pas d’ « un journal ou autre périodique ». Un périodique, selon le Dictionnaire de l’académie française, est une publication « qui paraît par livraisons successives, dans des temps fixes et réglés ». La référence, dans la Loi, à la fréquence de publication du « journal ou autre périodique » confirme que le législateur avait ce sens à l’esprit. Un quotidien, un hebdomadaire, une revue qui paraît dix fois l’an, ce sont des périodiques au sens de la Loi électorale. Un site web qui est mis à jour au gré de la motivation et des envies de son auteur n’en est pas un.
On pourrait être tenté de se rabattre sur le texte anglais, en apparence plus permissif, puisqu’il parle de « newspaper, periodical or other publication » (mes italiques). Mais même en mettant de côté la définition de “publication” de l’Oxford English Dictionary comme « a book or journal issued for public sale », à laquelle un site web ne correspond absolument pas, je pense que c’est bien le texte français qui reflète l’intention du législateur, vu la référence – dans les deux langues officielles – à la fréquence de la publication.
De plus, l’interprétation « technologiquement neutre » du DGE va à l’encontre de l’économie de l’article 404 de la Loi électorale qui contient des dispositions séparées, aux paragaphes 1, 2 et 3, s’appliquant respectivement à la presse périodique, aux livres et aux médias de télécommunication (radio et télévision). Selon moi, cette interprétation est donc erronée.
Il est sans doute regrettable – je dirais même ridicule – que la Loi électorale n’accomode aucunement l’expression des citoyens sur internet. En comparaison, la Loi électorale du Canada exempte de sa définition de « publicité électorale », à l’alinéa 319(d), « la diffusion par un individu, sur une base non commerciale, de ses opinions politiques sur le réseau communément appelé Internet ». On pourrait bien sûr se demander si cette exemption est suffisante. (Pourquoi s’applique-t-elle à des inidvidus, mais pas à des groupes, par exemple?) On pourrait aussi se demander une disposition « technologiquement neutre », s’appliquant à toute forme d’expression citoyenne, ne serait pas préférable à des dispositions particulières à chaque média. Quoi qu’il en soit, la disposition fédérale, c’est mieux que rien.
Or, la loi québécoise n’en contient pas d’équivalent. Il n’appartient pas au DGE, qui doit faire appliquer la loi, de la réécrire, si souhaitable cette réécriture soit-elle.
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