Une nouvelle rapportée par Radio-Canada hier me permet de revenir, une fois de plus, sur la bêtise de l’obsession actuelle de la classe politique québécoise avec la limitation du rôle de l’argent en politique. Selon ce que rapporte Radio-Can, le député Jacques Duchesneau―qui avait, par le passé, refusé d’une façon très ostentatoire de solliciter des dons pour lui ou son parti, disant ne vouloir rien devoir à personne―a enregistré un message téléphonique « envoyé automatiquement à environ 1 million de foyers québécois pour solliciter un don de 20 $ pour la CAQ ».
Ce n’est pas tant le changement d’idée de M. Duchesneau qui m’intéresse. Il n’y a rien de mal à ce qu’un politicien change d’idée, du moins lorsque c’est une bonne direction, comme c’est le cas ici. Il faut croire qu’une fois élu, M. Duchesneau a réalisé que recevoir des dons, pour un parti politique, c’est se « donner les moyens pour faire le travail ».
Ce qui m’intéresse plutôt, c’est le conflit entre les autres positions toujours défendues par la CAQ et, surtout, par M. Duchesneau lui-même, et les conséquences espérées de son appel au « lancement populaire ». Dans le cadre de son combat contre l’argent en politique, la CAQ, comme le rapportait récemment La Presse, propose de limiter les dépenses des partis politiques à 2 millions par année, sauf pour les années électorales, pour lequelles la limite serait de 4 millions. Or, supposons qu’un foyer sur dix, parmi ceux contactés par M. Duchesneau, réponde à son appel et fasse un don de 20$. C’est 100 000 fois 20$, donc 2 millions. La limite de dépenses que la CAQ propose donc, pour une année non-électorale. Supposons alors qu’une seule personne de plus, réflexion faite, décide également de contribuer. Si les dépenses sont limitées suivant la proposition de la CAQ, le parti devra lui dire « Non, merci! ».
C’est certes beaucoup, 100 000 contributeurs à un parti politique. Mais pas tant que ça. C’est environ 2% du nombre total d’électeurs au Québec. C’est à peu près la proportion d’électeurs américains qui ont contribué à la campagne de Barack Obama cette année. Un objectif ambitieux pour un parti donc, mais réalisable. Et, bien sûr, si on accepte des dons de 50$ ou de 100$, sans parler de montants plus élevés, cela diminue d’autant le nombre de donateurs à aller chercher. Avec un don moyen de 50$ par année, le plafond serait atteint avec les dons de moins de 1% des électeurs.
Or, il y a quelque chose de pervers, selon moi, à imposer un plafond de dépenses si bas qu’un parti politique pourrait, de façon concevable, refuser des dons de ses partisans, même des dons de 20$, parce qu’il ne pourrait pas les dépenser. (Au mieux, le parti pourrait déposer ces dons dans un compte de banque pour se constituer une réserve pour une année de vaches maigres.) Malgré tout le mal qu’on dit ces temps-ci aux États-Unis de cette adéquation, une contribution à un parti politique est, selon moi, une façon d’exprimer une opinion politique, au même titre que, disons, écrire une lettre ouverte à un journal. En faisant en sorte que l’expression des citoyens qui contribuent à un parti politique reste sans conséquences possibles, le plafonnement de dépenses proposé par la CAQ porte atteinte à la liberté d’expression politique, pourtant au coeur de notre système démocratique.
La volonté de s’affranchir l’influence supposément néfaste de l’argent, le désir de pureté des politiciens québécois n’ont pas que des limites pratiques, comme celles que M. Duchesneau semble avoir découvert. Cette pureté tant souhaitée irait aussi à l’encontre de nos principes.