Dans sa démarche de propagande pour nous faire avaler sa « Charte des valeurs », le gouvernement du Québec la compare souvent à la Loi 101, la Charte de la langue française. L’argument est que les deux Chartes sont semblables en ce qu’elles sont nécessaires et, surtout, en ce que, bien qu’extrêmement controversées au départ, elles finiront par faire consensus comme pierres angulaires de l’identité et de l’ordre public québécois. Il est vrai que la Loi 101 ― mitigée, ne l’oublions pas, par la Cour suprême, dont l’Assemblée nationale a fini par accepter les décisions (notamment celle dans Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, invalidant l’interdiction de l’affichage commercial dans les langues autres que le français) ― a fini par faire largement consensus. Pour ma part, je l’estime profondément illibérale, injuste et injustifiée ― mais je reconnais que ce point de vue est très minoritaire. Ce n’est pas important à présent. Ce que je veux souligner dans ce billet, c’est qu’il y a des différences considérables entre la Charte des la langue française revue et corrigée et la « Charte des valeurs », des différences qui démontrent bien le caractère oppressif de cette dernière.
La première de ces différences concerne la distribution du fardeau imposée par ces chartes. Certes, à certains égards (telle l’exigence de la prédominance du français dans l’affichage commercial), la Loi 101 pèse plus lourd sur les minorités linguistiques que sur la majorité francophone. Cependant, cette majorité s’est également imposé des restrictions considérables, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation. Il serait sans doute futile de parler d’une distribution « équitable » de ces contraintes, puisqu’elles sont largement incommensurables, mais il est clair que la Charte de la langue française exige un effort de toutes les communautés du Québec, y compris de la majorité. La « Charte des valeurs » ne le fait pas. Au contraire, elle est délibérément conçue pour n’affecter que les minorités religieuses, dont les symboles d’affiliation sont souvent « ostentatoires », tout en ne demandant aucun sacrifice à la majorité catho-laïque. Au contraire, elle exempte les symboles religieux de celle-ci, notamment le fameux crucifix de l’Assemblé nationale. Contrairement à la Loi 101, qui impose un effort commun, la « Charte des valeurs » est l’incarnation même de l’idée de la tyrannie de la majorité.
La seconde différence entre les deux Chartes concerne leur approche à la différence, au fait de la diversité de la société québécoise. Dans sa mouture actuelle, la Charte de la langue française n’essaie pas d’éliminer ou même à cacher la diversité linguistique du Québec. Elle impose le français comme langue commune et prédominante, mais n’interdit plus l’expression des autres langues sur la place publique. Elle exige que la grande majorité des enfants aillent à l’école française, mais leur permet de se tourner vers le CÉGEP et l’université en anglais s’ils le désirent. Le gouvernement du Québec communique en anglais avec les citoyens qui le souhaitent. La « Charte des valeurs », quant à elle, vise précisément à cacher le pluralisme religieux du Québec. Elle bannit toute expression de la différence, reléguant la diversité entre les quatre murs de la maison ou de l’église. Elle postule que les citoyens qui font affaire avec l’État, ou même les fonctionnaires qui ne font affaire qu’avec d’autres fonctionnaires, ne doivent pas voir cette diversité. Contrairement à la Loi 101, qui vise à s’assurer que le français puisse servir de point de référence commun, mais non nécessairement le seul moyen d’expression autorisé, la « Charte des valeurs » crée une seule expression permise.
Évidemment, il y a aussi toute la question de justification de l’une et l’autre Chartes. D’autres se sont déjà amplement prononcés sur ce sujet. Ne partageant pas l’opinion majoritaire quant à la justification de la Loi 101, je ne le ferai pas. De toute façon, quoi qu’on pense de la Charte de la langue française, il n’y a pas de comparaison possible entre elle et la « Charte des valeurs ».
Très solide, votre discours. J’ai eu marre de ceux qui veulent diaboliser cette loi en faisant une comparaison à la tyrannie. Tout ce qu’on veut au Québec, c’est de parler français. Je ne vois pas de problème là-dessus.
Pas sûr de quel loi vous parlez, mais si c’est de la Charte des valeurs, j’essaie justement de dire dans ce billet qu’elle est inique et répressive. Et si la Loi 101 ne l’est pas au même degré, elle n’en est pas moins profondément illibérale. Vouloir parler français soi-même, c’est une chose, mais l’imposer à autrui, c’en est une autre.