Le PQ et le Tea Party

Le mois dernier, Martin Patriquin avait fait grand bruit avec une chronique publiée dans le New York Times, où il affirmait qu’avec son projet de Charte de la honte, « en courtisant cet électorat blanc, populiste, rural, le Parti québécois, un parti de gauche, semble s’être aventuré sur en territoire du Tea Party » (ma traduction). Le gouvernement en a été assez offusqué pour que Bernard Drainville et François Lisée envoient une lettre au Times, parfaitement ridicule du reste, se comparant à Thomas Jefferson. Or, un billet publié cette semaine sur I-CONnect suggère que M. Patriquin avait parfaitement raison de comparer les partisans de la Charte de la honte au Tea Party.

Dans ce billet, intitulé « The Rise of the “Lost Constitution” Argument Within Right-of-Center Politics in the United Kingdom and United States of America », Jamie Fletcher explique que le Tea Party (tout comme le UK Independence Party, un parti d’ (extrême) droite populiste, auquel le PQ voudrait encore moins être comparé, je suppose, qu’au Tea Party) a « placé la “constitution perdue” au centre de [son] programme politique » (ma traduction ici et ci-dessous). Cette « constitution perdue » (selon l’expression de Randy Barnett) est celle qui aurait été oubliée ou même abolie à la suite d’un processus politique illégitime qui a débuté avec le New Deal et dont la présidence de Barack Obama est un paroxysme. Sans avoir eu recours au processus d’amendement prévu par le texte constitutionnel (et donc le seul qui soit légitime), une transformation politique et juridique aurait excisé de la constitution la protection de la liberté individuelle et de l’autonomie des États qui en étaient jadis les éléments clés et qui ont fait la grandeur des États-Unis. Le résultat, c’est qu’un « palier de gouvernment plus grand, moins redevable démocratiquement, légitime et représentatif » ― c’est-à-dire le gouvernement fédéral ― aurait « dérobé le pouvoir des unités de gouvernement plus petites », intervenant de plus en plus dans les affaires réservées aux États par la tradition et par la Constitution elle-même (notamment, par son 10e Amendement).

Or, cette position trouve un écho dans le discours tenu par le Parti québécois depuis bien des années, mais tout particulièrement depuis qu’il a fait de la Charte de la honte son cheval de bataille. À première vue, cette affirmation peut sembler surprenante, puisque le PQ cherche ostensiblement à créer une toute nouvelle constitution pour le Québec plutôt qu’à restaurer une ancienne. Cependant, si on s’attarde son argumentaire, on se rend compte que tout n’est pas si simple. Car, même s’il tient, en théorie du moins, au « projet de pays » et de constitution d’un Québec indépendant, le PQ emploie une rhétorique de constitution perdue pour le justifier. Il le fait encore davantage pour justifier la Charte de la honte.

La constitution perdue du PQ, c’est la constitution canadienne des années 60 et 70,  d’avant le rapatriement de 1981-82, d’avant la « la Charte à Trudeau » qui aurait imposé au Québec la doctrine honnie du multiculturalisme et le pouvoir des juges de la Cour suprême. Tout comme la constitution perdue du Tea Party, celle du PQ aurait été subvertie par un processus politique et judiciaire illégitime, le rapatriement et l’adoption de la Charte canadienne s’étant fait sans le consentement du Québec. Tout comme le Tea Party, le PQ déplore un transfert du pouvoir à un organe anti-démocratique (en l’occurrence, la Cour suprême du Canada) qui priverait la province de son autonomie traditionnelle et constitutionnelle. Cette autonomie est associée non pas strictement à la grandeur nationale, mais plutôt à une pureté culturelle qui joue le même rôle dans le discours nationaliste québécois que cette dernière dans le discours de l’exceptionalisme américain.

Une partie, du moins, du mouvement indépendantiste aurait accepté la légitimation rétrospective de ces développements, avec les accords du lac Meech et de Charlottetown, mais ces alternatives à l’indépendance n’ont pas abouti. L’indépendance du Québec est donc présentée non (seulement) comme un nouveau départ, un projet orienté entièrement vers l’avenir, mais (aussi) comme le moyen de retrouver une constitution à jamais perdue dans le système fédéral canadien. Et, à défaut de l’indépendance ou en l’attendant, la Charte de la honte serait un moyen de réaffirmer l’autonomie et l’exception culturelle québécoises, de marquer une différence face au multiculturalisme canadien envahissant, et de souligner la primauté du législateur québécois sur les juges fédéraux.

Certes, on peut se demander si ce discours constitutionnaliste n’est pas que de la frime, de la fumisterie qui sert à cacher ou à donner une expression politiquement correcte au ressentiment contre le changement. Eoin Carolan soulève cette possibilité dans sa réplique au prof. Fletcher (au même lien, mais plus bas). En deçà de la rhétorique constitutionnaliste du Tea Party (et du UKIP), suggère le prof. Carolan, il pourrait y avoir des

réponses complexes de groupes particuliers à la façon dont leur pouvoir politique et leur influence perçus se retrouvent sous pression des changements de la démographie, des valeurs politiques ou d’autres développements internationaux ou institutionnels. Si ces groupes perçoivent le gouvernement comme de moins en moins représentatif de leurs intérêts ― et donc illégitime ― il peuvent naturellement chercher le réconfort dans une époque passée où les politiques gouvernementales étaient plus proches de leurs propres opinions.

Je suis disposé à croire que cela explique en partie la pensée et la rhétorique de plusieurs de ceux qui s’identifient au Tea Party et d’une partie considérable des partisans de la Charte de la honte. Cependant, il serait injuste de nier carrément le sérieux de la « constitution perdue ». Car des changements constitutionnels bien réels se sont effectivement produits, tant aux États-Unis qu’au Canada, à la fois au niveau du droit et à celui des des idées reçues. En ce sens, la rhétorique de la « constitution perdue » s’appuie sur des faits, même si la présentation de ces faits n’est pas exempte d’exagération et inclut une part de demi-vérités. On peut et doit rectifier ces dernières mais, surtout, une critique de ce discours peut et doit remettre en question la prétention que les changements constitutionnels qu’il critique sont illégitimes.

Évidemment, les cas américain et québécois ne sont pas identiques. Il se peut bien que la rhétorique de la « constitution perdue » se justifie davantage dans un cas que dans l’autre. Quoi qu’il en soit, et sans porter de jugement sur le cas américain, je suis persuadé qu’elle est injustifiée dans le cas du Québec. Il n’en demeure pas moins qu’il est un élément important du discours péquiste. Et que, dès lors, le parallèle entre le PQ et le Tea Party est pleinement justifié.

Author: Leonid Sirota

Law nerd. I teach public law at the University of Reading, in the United Kingdom. I studied law at McGill, clerked at the Federal Court of Canada, and did graduate work at the NYU School of Law. I then taught in New Zealand before taking up my current position at Reading.

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