Mémoire fragmentée/Fragmented Remembrance

A meditation on the conflict between identity politics and remembrance

Today is International Holocaust Remembrance Day. In Germany, it is the Day of remembrance for the victims of National Socialism. And, as it happens, I’ve been reminded of something I wrote almost ten years ago, I think, after visiting the site of the Dachau concentration camp. It seems sadly topical in the face of identity politics flourishing around the world, to which it would we in Canada might have a greater resistance than in many other places, but no immunity.

Here it is, first an English translation and, below, the French original. As for the title of this post, I am lifting it from one written, some years ago, by my friend Adrien Beauduin, saying much the same thing but with about a different place ― proof that the issue I am concerned with is not peculiar to a the place or a culture.

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I am not quite sure why I found myself at the Dachau memorial, on the site of the very first Nazi concentration camp. Whether it was a duty of remembrance, a sort of macabre historical voyeurism, or a quest for redemption (for mankind, since, however difficult this might be for us to acknowledge, concentration camps and terrorist attacks are the work of our fellows), the visit has been as painful as it was instructive. It made me ask myself this disturbing question, among others: when they tried to saw discord between their opponents and victims, to divide and rule them, did the Nazis succeed beyond even their military defeat?

Divide and rule; the principle is old as the world, which takes nothing away from the efficacy of its application from Ceasar to Hitler to Ahmadinejad. In Dachau itself, the guards did everything to set the Social-Democrats against the Communists, the better to control both groups ― apparently, without too much success. The different groups of prisoners were also identified by signs on their uniforms, not only so as to make watching over them ― and humiliating them ― easier, but also to help make co-operation between them more difficult by sustaining the prejudice that each group held against the others. Now, more than sixty years after Dachau’s liberation, I have the impression that these divisions still hold.

Thus the part of the monument to the camp victims’ memory that commemorates the various groups whose members were imprisoned in Dachau by representing the signs that the Nazis used (stars of David and triangles of various colours, depending on the category to which the prisoner belonged) does not menton homosexual prisoners, or criminals. When the monument was built, the men imprisoned for their origins were deemed worthy of remembrance by the former prisoners’ association, but not those who found themselves at Dachau for their “lifestyle choices.” (Actually, I suppose that criminality is, in many cases at least, a choice. But not a choice that justifies putting those who make it in a concentration camp.) And whatever the acceptability of “forgetting” them thirty [now, forty] years ago, I fail to see what prevents it, to this day, from being rectified ― if not the persistence of the old divisions on which the Nazis relied.

The memorial’s other monuments only made my sombre questions more pressing. A monument to the memory of Polish priests. An Orthodox chapel in memory of the Russians. A monument to the memory of Jews. Each not very far from the others, but each its own. The memory of a nation, a religion, etc., by that nation or religion, for that nation or religion. Each one might be remembered, but when that memory is individual, one group is always forgotten: humanity itself.

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Je ne suis pas vraiment sûr pourquoi je me suis retrouvé au mémorial de Dachau, situé sur le site du tout premier camp de concentration nazi. Mais que j’y aie été amené par un devoir de mémoire, une sorte de macabre voyeurisme historique ou un désir de rédemption (pour le genre humain, puisque, et peu importe combien il nous soit difficile de l’admettre, les camps de concentration et les attentats terroristes sont l’œuvre de nos semblables), la visite aura été aussi pénible qu’instructive. Elle m’a amené à me poser, entre autres, une question perturbante. En essayant de semer la discorde entre leurs adversaires et victimes, de les diviser pour régner, les nazis auraient-ils réussi, par-delà même leur défaite militaire?

Diviser pour régner, le principe est vieux comme le monde, ce qui ne diminue pas l’efficacité de son application, depuis César jusqu’à Hitler et à Ahmadinejad. À Dachau même, les gardes faisaient tout pour opposer les sociaux démocrates aux communistes – pour mieux maîtriser les deux groupes – apparemment sans trop de succès. Les différents groupes de prisonniers étaient aussi identifiés par des signes sur leur uniforme, ce qui devait non seulement aider les gardes à les surveiller – et à les humilier, ― mais aussi contribuer à rendre plus difficile leur coopération en faisant perdurer les préjugés d’un groupe à l’égard d’un autre. Eh bien, plus de soixante ans après la libération de Dachau, j’ai eu l’impression que ces divisions sont toujours tenaces.

Ainsi, la partie du monument à la mémoire des victimes du camp qui rappelle les différents groupes dont les membres ont été emprisonnés à Dachau, en représentant les signes utilisés par les nazis (étoiles de David et triangles de différentes couleurs, selon la « catégorie » à laquelle le prisonnier appartenait) ne fait pas mention des prisonniers homosexuels, pas plus que des criminels. Quant le monument a été érigé, les hommes emprisonnés à cause de leur origines ont été jugés dignes du souvenir par l’association des anciens prisonniers, mais pas ceux qui se sont retrouvés à Dachau pour leurs « choix de vie ». (En fait, je suppose que la criminalité est, dans bien des cas du moins, un choix. Mais pas le genre de choix qui justifie qu’on mette ceux qui l’ont fait dans un camp de concentration). Et quelle que fût l’acceptabilité d’un tel « oubli » il y a trente ans, je vois mal ce qui l’empêche, à ce jour, d’être rectifié… sauf la persistance de ces vielles divisions dont les nazis se servaient.

D’autres monuments du mémorial n’ont fait que renforcer mes sombres interrogations. Un monument à la mémoire des prêtres polonais… Une chapelle orthodoxe à la mémoire des Russes… Un monument à la mémoire des Juifs… Les uns pas très loin des autres, mais chacun pour soi. La mémoire d’une nation, d’une religion etc., par cette nation ou religion, pour cette nation ou religion. On se rappelle peut-être chacune, mais lorsque cette mémoire est individuelle, il y a toujours une grande oubliée : l’humanité.

L’intention ne compte pas

J’ai reçu, évidemment, des critiques pour mon billet soulignant la ressemblance entre le projet de « Charte des valeurs » du gouvernement péquiste et la Loi sur la restauration de la fonction publique nazie, qui chassait les Juifs (et les opposants politiques) de la fonction publique allemande. La plus sérieuse de ces critiques, qui mérite une réponse, est à l’effet que l’analogie n’est pas valide, qu’elle est même injuste, parce que l’intention du gouvernement Marois n’est ni la même ni même comparable à celle du gouvernement Nazi. Les péquistes ne cherchent pas à éliminer un groupe social détesté, ni même, me dit-on, à l’exclure de la société. Ainsi, aussi indésirables, et même inacceptables, que soient les effets que produira cette « Charte des valeurs », on ne devrait pas la comparer à une loi dont les effets, par ailleurs semblables, était recherchés. Avec égards, je ne suis pas persuadé par cette critique.

Si l’histoire politique du 20e siècle nous a appris une chose, c’est bien que les intentions, affichées ou même réelles, derrière les politiques publiques ne signifient pas grand chose. Les meilleurs intentions, lorsqu’on cherche à les réaliser par les moyens abusifs, produisent la misère ou l’oppression. Ce n’est pas seulement que la fin ne justifie pas les moyens ― mes critiques, je m’empresse d’ajouter, ne prétendent pas cela. C’est que la fin est carrément sans importance face à certains moyens. Certaines mesures sont si répressives que le but dans lequel elles sont adoptées non seulement ne les justifie pas, mais ne saurait être invoqué même à titre de circonstance atténuante.

L’oubli de ce principe a des conséquences déplorables pour notre compréhension de l’histoire, notamment une certaine trivialisation des crimes communistes, surtout en comparaison avec les crimes Nazis. On a tendance à penser que, parce que les intentions des communistes étaient nobles, leurs actes, qui ont causé plus de morts que ceux des Nazis, ne méritent pas la même condamnation que ceux de ces derniers. Des jeunes exaltés arborent fièrement le portrait de Che Guevara, et on les regarde, tout au plus, avec une certaine condescendance, se disant qu’il faut que jeunesse se passe. On ne regarderait pas de cette façon un jeune qui se promènerait avec un uniforme SS.

Tout ça pour dire qu’accorder trop d’importance aux intentions qui motivent la répression est une erreur. L’injustice ne consiste pas à comparer des mesures aux conséquences semblables si leurs intentions sont différentes. Elle consiste, au contraire, à laisser une intention prétendument bénigne obscurcir une énormité que celui qui a cette intention s’apprête à commettre. Et, pour prévenir cette injustice, il me me semble d’autant plus important de souligner le parallèle entre la mesure proposée par le gouvernement péquiste et la loi nazie ― justement parce que leurs motivations ne sont pas les mêmes.

Le Point Godwin

J’ai promis, dans mon dernier billet, où j’analysais la constitutionnalité de la « Charte des valeurs » proposée par le gouvernement du Québec, de dire des méchancetés au sujet de celle-ci. Eh bien, en voici la plus grande. Ce projet ressemble drôlement à une loi Nazie de 1933, la Loi sur la restauration de la fonction publique (Gesetz zur Wiederherstellung des Berufsbeamtentums, GWB). Cette loi, proclamée seulement quelques mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, a exclu de la fonction publique et de l’enseignement les personnes d’ascendance « non-aryenne » ― c’est à dire les Juifs ― ainsi que les indésirables politiques. En ce qui me concerne, j’ai du mal à voir en quoi l’expulsion de fonctionnaires, de profs, de médecins ou d’éducatrices dont la religion leur impose le port de signes qualifiés d’ « ostentatoires » en vertu de la « Charte des valeurs » est différente de cette première purge nazie.

Il me vient à l’esprit un seul argument possible ― possible, mais non persuasif. Être Juif, selon la compréhension nazie, n’était qu’une question de sang. Ce n’était, évidemment, pas un choix qu’une personne pouvait faire. Porter un symbole religieux ostentatoire, dira-t-on peut-être, est un choix. La première ministre a prétendu qu’ « on peut aider cette personne-là sûrement à cheminer et à accepter de vivre avec les règles que la société se donne ».

C’est du délire. La personne qui sent un devoir supérieur de porter un voile, une kippa, un turban ne peut pas « cheminer » pour, graduellement, changer d’avis. Elle peut, contre sa conscience, se soumettre à la force. Certaines le feront. La plupart ne le feront pas, parce qu’elles se sentent incapables de le faire. La foi peut se manifester, entre autres, par un choix vestimentaire, mais elle n’est une chose superficielle à laquelle on peut renoncer pour le bien commun. L’obligation qu’on éprouve envers sa conscience est supérieure à celle qu’on éprouve envers la loi, envers la société. Mme. Marois et tous ceux qui soutiennent le projet de son gouvernement s’en rendraient compte d’ailleurs, s’ils prenaient le temps de se demander comment ils se sentiraient si, disons, un autre gouvernement ré-instituait le Serment du test. En bonne conscience, on n’a pas plus le choix de ses obligations religieuses que de sa race, de sa nationalité ou de son sexe.

C’est pourquoi j’insiste sur ce parallèle entre la proposition du PQ et la loi nazie sur la fonction publique. Attention: je ne dis pas que les péquistes sont des nazis. Je suis loin de croire, par exemple, que le PQ s’est inspiré d’Hitler pour façonner sa  proposition. Non, au contraire, il est fort probable les auteurs de celle-ci soient tout simplement ignorants de l’histoire. Je ne dis pas, non plus, que si Hitler, ayant commencé par la purge de la fonction publique, a fini par les chambres à gaz, le PQ va en faire autant. Certainement pas. Je fais seulement le parallèle entre deux politiques spécifiques.

Je m’attends néanmoins à ce qu’on m’invoque « la loi Godwin », ou plutôt l’interprétation de cette loi voulant que la personne qui compare son adversaire aux Nazis doit être considérée comme ayant, ipso facto, perdu l’argument. Sauf que, cette « loi » ne saurait être érigée en dogme. Comme l’explique, par exemple, Glenn Greenwald, on n’a pas besoin d’avoir construit des chambres à gaz pour faire certaines des choses qui ont rendu Adolf Hitler l’homme le plus honni de l’histoire. Lorsqu’un politicien fait une de ces choses, invoquer la loi Godwin comme argument massue destiné à mettre fin à la discussion n’est qu’un moyen d’éviter une  discussion inconfortable ― exactement la même chose que la comparaison à Hitler sert à accomplir dans les cas proprement visés par la loi Godwin.

Je ne veux pas, moi, mettre fin à la discussion ― encore que j’eusse préférée que la discussion autour de la « Charte des valeurs » n’ait pas eu lieu. Cependant, puisque cette discussion nous a été imposée, je pense qu’elle gagnerait à tenir compte de faits historiques pertinents. La « Charte des valeurs » est une énormité sans précédent dans l’histoire récente du Québec et du Canada. Il est impératif de bien en saisir l’ampleur.

ADDENDUM: Je souligne, au passage, pour ceux qui seraient intéressés à purifier le discours politique des références nazies qu’ils feraient bien de commencer par la désignation de ce qu’on appelle en anglais le Kitchen Accord comme la « Nuit des longs couteaux ».

ADDENDUM #2: Je réponds à une critique de mon analogie, telle qu’articulée par Mathieu dans son commentaire ci-dessous, dans ce billet.