Chasser les marchands du temple

J’ai beaucoup écrit cette semaine sur la « Charte des valeurs » avec laquelle le gouvernement péquiste se propose d’enchâsser en loi l’intolérance et la méfiance envers « l’autre », celui ― et surtout celle ― qui ne ressemble pas à ce qu’on est habitué de voir « chez nous », intolérance et méfiance qu’il croit détecter, non sans raison hélas, chez une partie de la population, et grâce auxquelles il compte gagner les votes aux prochaines élections. Et tant pis si c’est une honte internationale. Tant mieux, même, puisque le gouvernement peut s’ériger en défendeur de la nation contre ces étrangers, généralement anglophones, qui veulent lui faire la leçon.

Je pense avoir dit pas mal ce qu’il y avait à dire sans trop me répéter. Je vais donc conclure, du moins provisoirement, en attendant d’autres développements. Et en guise de conclusion, voici un texte que j’ai écrit mardi, tout de suite après la présentation du projet de la « Charte des valeurs ». J’ai essayé de le faire publier ailleurs, ça n’a pas marché, mais je l’aime quand même. Voici.

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Interdits, donc, les signes religieux ostentatoires, sauf bien sûr qui ne le seront pas, tel le crucifix à l’Assemblée nationale, si le gouvernement du Parti québécois a gain de cause. Cela, Bernard Drainville l’a confirmé aujourd’hui, en annonçant officiellement le projet de « Charte des valeurs » que son gouvernement cherchera à faire adopter par l’Assemblée nationale, sous le regard justement de ce Christ tourmenté.

M. Drainville a raison, du reste, d’affirmer qu’il ne s’agit là que d’une relique patrimoniale et non d’un symbole religieux. Car on est bien loin de cette religion fondée sur la prémisse qu’ «il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ». Dans le Québec de M. Drainville, ces distinctions sont capitales. Un employé juif ou une employée musulmane, s’ils tiennent à leur foi, devront être expulsés de la fonction publique, d’une université, d’un hôpital, d’une école, d’une garderie. Une femme juive ou un homme musulman, ça va. Pour l’instant.

Ce que M. Drainville n’a pas expliqué, en revanche, c’est pourquoi le Québec devrait être tel qu’il se l’imagine, celui de l’interdit, de l’uniformité, de la méfiance, plutôt que celui de l’ouverture, celui qui, avec Gilles Vigneault, mettait «son temps et son espace à préparer le feu, la place pour les humains de l´horizon ». Car les motifs avancés pour justifier les atteintes sans précédent à la liberté individuelle et à l’égalité que la « Charte des valeurs » va opérer ne sauraient convaincre.

La justification sur laquelle M. Drainville a le plus insisté, un besoin de balises communes pour encadrer les demandes d’accommodements, ne suffit guère. Un besoin de balises communes ne justifie pas, en soi, que ces balises soient restrictives. Une « Charte de liberté religieuse » pourrait tout aussi bien servir de point de référence commun. (D’ailleurs, les États-Unis, premier pays à avoir enchâssé dans sa constitution la séparation de l’église et de l’État, ont une loi de cette nature, disposant que toute atteinte à la liberté religieuse doit être justifiée comme étant étroitement adoptée pour réaliser un besoin gouvernemental impérieux.) Pourquoi donc l’approche répressive? M. Drainville ne nous le dit pas.

Le gouvernement invoque aussi la neutralité de l’État et de ses employés. Or, a-t-on vu seulement une allégation, sans parler d’une preuve, d’un manque de neutralité d’un employé de l’État qui affichait son appartenance religieuse? La position du gouvernement n’est pas un argument, c’est de la pure conjecture. Tout comme on doit s’attendre à ce qu’un employé de l’État du sexe, d’un âge ou d’une race différents des nôtres exerce ses fonctions avec intégrité et professionnalisme, on devrait présumer la même chose face une différence religieuse. Pourquoi renverser la présomption dans le seul cas de la religion? M. Drainville ne nous le dit pas.

Finalement, on prétend que la « Charte des valeurs » serait nécessaire pour affirmer l’égalité entre les hommes et les femmes. Pourtant, elle ratisse bien large pour ce faire ― la kippa ou le turban sont-ils des symboles sexistes? Et quant à la véritable cible de cet argument, le foulard des musulmanes pieuses, son interdiction ne servira qu’à exclure ces dernières de la société québécoise. Pourquoi donc une loi qui fera reculer plutôt qu’avancer l’égalité des sexes? M. Drainville ne nous le dit pas.

Au bout du compte, tout porte à croire que les justifications  auxquelles s’accroche le gouvernement ne sont que de la poudre aux yeux des citoyens. La « Charte des valeurs » n’est qu’un exercice partisan, une tentative d’acheter des votes aux frais des minorités. C’est pourquoi, de quelque religion nous soyons ou si nous n’en avons aucune, le temps est venu de nous inspirer de ce Christ qui regarde les délibérations de nos législateurs. Le temps est venu de chasser les marchands du temple de la démocratie.

Can’t Work

The most serious argument I have seen a representative of the Québec government invoke in defence of its proposed “Charter of Values” is Bernard Drainville’s claim, in an interview to the Globe, that “[w]orking for the state is not a right, it is a choice that comes with certain responsibilities.” The argument is that since the proposed Charter would only apply to state employees, and working for the state is not a right, it would not infringe anyone’s rights ― it would only condition access to something of a privilege. Of course, being most serious argument in a heap of lies and lunacy need not mean much, but it is, I think, serious enough to deserve an answer. Nevertheless, the argument cannot work.

One obvious response to it is to invoke an anti-discrimination logic. Even if something is a matter of privilege or of discretion rather than of right, it cannot be granted on a discriminatory basis. Mr. Drainville would surely accept that a law that, say, excluded Jews from the civil service would be discriminatory and wrong, even though, as a general matter, no individual, Jewish or otherwise, has a right to be a civil servant. It is one thing to say that an individual does not have an entitlement to something that can only be obtained as a result of a competitive process (in this case, recruitment); it is quite another to exclude all members entire groups from even participating in the competition. And because the Charter of Québec values, as proposed, has a largely disparate impact on different religious groups, imposing basically no hardship on Christians or the non-religious, but a lot of hardship on the members of some religious minorities, it is discriminatory unless these restrictions can be justified on some independent basis, and not merely by saying that working for the state is not a right. (On the operation of anti-discrimination law in this context, I recommend this post by my erstwhile Federal Court colleague, and now labour and employment lawyer, Brian Gottheil.)

Mr. Drainville’s argument also fails on the logic of religious liberty and accommodation, although the reasoning here is a bit more complicated. Mr. Drainville’s position is a special case of the general principle that the case for solicitude towards a religious behaviour which clashes with some general rule is rather less strong if the clash can be avoided ― avoided, that is, not by the believer renouncing his or her religiously-motivated behaviour, but by adjusting his or her secular conduct so that the clash will not arise. To make this abstract formulation clear, consider the following examples: (1) a Sikh who wants to wear a kirpan to school, despite a general rule prohibiting dangerous objects in the school; (2) a Sikh who wants to wear a kirpan to attend a session of Parliament, despite a rule prohibiting dangerous objects in the parliamentary buildings; and (3) a Sikh who wants to wear a turban while driving a motorcycle, making it impossible for him to wear a helmet, despite a rule that makes helmets mandatory. I think that the argument for exemption in case (1) is extremely strong, because school attendance is mandatory, so that the believer has no way out of the conflict with the general rule. In case (3), by contrast, the argument for exemption is not all that strong, because riding a motorcycle is a purely optional behaviour, something done out of pleasure rather than necessity. The believer can drive a car instead, and get around without any interference with his religious duty. (Of course, we might say that the helmet requirement is a paternalist regulation and the case for it is very weak too, tipping the balance in favour of granting the exemption, but that’s a somewhat different argument.) Case (2) is, arguably, somewhere in the middle. Attending a session of Parliament is not mandatory; most people get on just fine without ever doing it. However, it is, I think, a matter of right in a democracy, and citizens should not be deprived of it without very grave reasons indeed. In my view, the case for the exemption is quite strong here, though not as strong as in (1).

So where does working for the state fall on this scale? Mr. Drainville says that being a civil servant is like riding a motorcycle (except, I guess, that it is less dangerous and exciting) ― a purely optional behaviour; if one doesn’t like the conditions that come with it, one just shouldn’t do it. But that is not quite so, especially in the context of 21st-century Québec (or indeed, albeit perhaps to a somewhat lesser extent, any advanced society). The public sector employs a sizable part of the total workforce. But, more to the point, in some professions, it is the dominant, if not the only, employer. If one is a schoolteacher, one is likely to be working in a public institution (though there are, to be sure, some private schools). If one is a doctor, one has to pass through a period of public employment as a resident; in some areas (say, emergency medicine), state hospitals are the only potential employer. Cooks and janitors, who the PQ also considers to be bearers of state authority whose appearance needs to be secularized, could potentially leave public employment and take up similar, if less well-paying, jobs in the private sector. But for many professionals, that is simply not an option. For them working for the state is not a right (the state could, after all, privatize some of its activities, or simply fire them to save costs), but it’s not exactly a choice either. The case for accommodating their religious duties is much stronger than it is for the motorcycle-rider.

Of course, there are always alternatives. If a professional cannot work in Québec, chances are he or she will find a job in some other province. A hospital in Ontario is already advertising to McGill’s medical students, saying that (unlike Québec), “we don’t care what’s on your head. We care what’s in it.” But we might still hope that Mr. Drainville did not mean to say, like the officials of the Russian Empire, in the wake of late 19th-century Jewish pogroms, that “the western border is open to you.” Or did he?

Histoire des deux chartes

Dans sa démarche de propagande pour nous faire avaler sa « Charte des valeurs », le gouvernement du Québec la compare souvent à la Loi 101, la Charte de la langue française. L’argument est que les deux Chartes sont semblables en ce qu’elles sont nécessaires et, surtout, en ce que, bien qu’extrêmement controversées au départ, elles finiront par faire consensus comme pierres angulaires de l’identité et de l’ordre public québécois. Il est vrai que la Loi 101 ― mitigée, ne l’oublions pas, par la Cour suprême, dont l’Assemblée nationale a fini par accepter les décisions (notamment celle dans Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, invalidant l’interdiction de l’affichage commercial dans les langues autres que le français) ― a fini par faire largement consensus. Pour ma part, je l’estime profondément illibérale, injuste et injustifiée ― mais je reconnais que ce point de vue est très minoritaire. Ce n’est pas important à présent. Ce que je veux souligner dans ce billet, c’est qu’il y a des différences considérables entre la Charte des la langue française revue et corrigée et la « Charte des valeurs », des différences qui démontrent bien le caractère oppressif de cette dernière.

La première de ces différences concerne la distribution du fardeau imposée par ces chartes. Certes, à certains égards (telle l’exigence de la prédominance du français dans l’affichage commercial), la Loi 101 pèse plus lourd sur les minorités linguistiques que sur la majorité francophone. Cependant, cette majorité s’est également imposé des restrictions considérables, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation. Il serait sans doute futile de parler d’une distribution « équitable » de ces contraintes, puisqu’elles sont largement incommensurables, mais il est clair que la Charte de la langue française exige un effort de toutes les communautés du Québec, y compris de la majorité. La « Charte des valeurs » ne le fait pas. Au contraire, elle est délibérément conçue pour n’affecter que les minorités religieuses, dont les symboles d’affiliation sont souvent « ostentatoires », tout en ne demandant aucun sacrifice à la majorité catho-laïque. Au contraire, elle exempte les symboles religieux de celle-ci, notamment le fameux crucifix de l’Assemblé nationale. Contrairement à la Loi 101, qui impose un effort commun, la « Charte des valeurs » est l’incarnation même de l’idée de la tyrannie de la majorité.

La seconde différence entre les deux Chartes concerne leur approche à la différence, au fait de la diversité de la société québécoise. Dans sa mouture actuelle, la Charte de la langue française n’essaie pas d’éliminer ou même à cacher la diversité linguistique du Québec. Elle impose le français comme langue commune et prédominante, mais n’interdit plus l’expression des autres langues sur la place publique. Elle exige que la grande majorité des enfants aillent à l’école française, mais leur permet de se tourner vers le CÉGEP et l’université en anglais s’ils le désirent. Le gouvernement du Québec communique en anglais avec les citoyens qui le souhaitent. La « Charte des valeurs », quant à elle, vise précisément à cacher le pluralisme religieux du Québec. Elle bannit toute expression de la différence, reléguant la diversité entre les quatre murs de la maison ou de l’église. Elle postule que les citoyens qui font affaire avec l’État, ou même les fonctionnaires qui ne font affaire qu’avec d’autres fonctionnaires, ne doivent pas voir cette diversité. Contrairement à la Loi 101, qui vise à s’assurer que le français puisse servir de point de référence commun, mais non nécessairement le seul moyen d’expression autorisé, la « Charte des valeurs » crée une seule expression permise.

Évidemment, il y a aussi toute la question de justification de l’une et l’autre Chartes. D’autres se sont déjà amplement prononcés sur ce sujet. Ne partageant pas l’opinion majoritaire quant à la justification de la Loi 101, je ne le ferai pas. De toute façon, quoi qu’on pense de la Charte de la langue française, il n’y a pas de comparaison possible entre elle et la « Charte des valeurs ».

Le Point Godwin

J’ai promis, dans mon dernier billet, où j’analysais la constitutionnalité de la « Charte des valeurs » proposée par le gouvernement du Québec, de dire des méchancetés au sujet de celle-ci. Eh bien, en voici la plus grande. Ce projet ressemble drôlement à une loi Nazie de 1933, la Loi sur la restauration de la fonction publique (Gesetz zur Wiederherstellung des Berufsbeamtentums, GWB). Cette loi, proclamée seulement quelques mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, a exclu de la fonction publique et de l’enseignement les personnes d’ascendance « non-aryenne » ― c’est à dire les Juifs ― ainsi que les indésirables politiques. En ce qui me concerne, j’ai du mal à voir en quoi l’expulsion de fonctionnaires, de profs, de médecins ou d’éducatrices dont la religion leur impose le port de signes qualifiés d’ « ostentatoires » en vertu de la « Charte des valeurs » est différente de cette première purge nazie.

Il me vient à l’esprit un seul argument possible ― possible, mais non persuasif. Être Juif, selon la compréhension nazie, n’était qu’une question de sang. Ce n’était, évidemment, pas un choix qu’une personne pouvait faire. Porter un symbole religieux ostentatoire, dira-t-on peut-être, est un choix. La première ministre a prétendu qu’ « on peut aider cette personne-là sûrement à cheminer et à accepter de vivre avec les règles que la société se donne ».

C’est du délire. La personne qui sent un devoir supérieur de porter un voile, une kippa, un turban ne peut pas « cheminer » pour, graduellement, changer d’avis. Elle peut, contre sa conscience, se soumettre à la force. Certaines le feront. La plupart ne le feront pas, parce qu’elles se sentent incapables de le faire. La foi peut se manifester, entre autres, par un choix vestimentaire, mais elle n’est une chose superficielle à laquelle on peut renoncer pour le bien commun. L’obligation qu’on éprouve envers sa conscience est supérieure à celle qu’on éprouve envers la loi, envers la société. Mme. Marois et tous ceux qui soutiennent le projet de son gouvernement s’en rendraient compte d’ailleurs, s’ils prenaient le temps de se demander comment ils se sentiraient si, disons, un autre gouvernement ré-instituait le Serment du test. En bonne conscience, on n’a pas plus le choix de ses obligations religieuses que de sa race, de sa nationalité ou de son sexe.

C’est pourquoi j’insiste sur ce parallèle entre la proposition du PQ et la loi nazie sur la fonction publique. Attention: je ne dis pas que les péquistes sont des nazis. Je suis loin de croire, par exemple, que le PQ s’est inspiré d’Hitler pour façonner sa  proposition. Non, au contraire, il est fort probable les auteurs de celle-ci soient tout simplement ignorants de l’histoire. Je ne dis pas, non plus, que si Hitler, ayant commencé par la purge de la fonction publique, a fini par les chambres à gaz, le PQ va en faire autant. Certainement pas. Je fais seulement le parallèle entre deux politiques spécifiques.

Je m’attends néanmoins à ce qu’on m’invoque « la loi Godwin », ou plutôt l’interprétation de cette loi voulant que la personne qui compare son adversaire aux Nazis doit être considérée comme ayant, ipso facto, perdu l’argument. Sauf que, cette « loi » ne saurait être érigée en dogme. Comme l’explique, par exemple, Glenn Greenwald, on n’a pas besoin d’avoir construit des chambres à gaz pour faire certaines des choses qui ont rendu Adolf Hitler l’homme le plus honni de l’histoire. Lorsqu’un politicien fait une de ces choses, invoquer la loi Godwin comme argument massue destiné à mettre fin à la discussion n’est qu’un moyen d’éviter une  discussion inconfortable ― exactement la même chose que la comparaison à Hitler sert à accomplir dans les cas proprement visés par la loi Godwin.

Je ne veux pas, moi, mettre fin à la discussion ― encore que j’eusse préférée que la discussion autour de la « Charte des valeurs » n’ait pas eu lieu. Cependant, puisque cette discussion nous a été imposée, je pense qu’elle gagnerait à tenir compte de faits historiques pertinents. La « Charte des valeurs » est une énormité sans précédent dans l’histoire récente du Québec et du Canada. Il est impératif de bien en saisir l’ampleur.

ADDENDUM: Je souligne, au passage, pour ceux qui seraient intéressés à purifier le discours politique des références nazies qu’ils feraient bien de commencer par la désignation de ce qu’on appelle en anglais le Kitchen Accord comme la « Nuit des longs couteaux ».

ADDENDUM #2: Je réponds à une critique de mon analogie, telle qu’articulée par Mathieu dans son commentaire ci-dessous, dans ce billet.

Of Course Not

The Québec government’s proposal for a “Charter of Québec Values” is now official. It’s not much of a proposal, actually ― there is no bill, and there isn’t going to be for months yet ― but we do have a fancy website on which the government explains what the Charter will do. (The English version isn’t all in English, but I don’t suppose one can expect better from the PQ government.)

The highlight proposal is, as had long been known, a prohibition on “conspicuous religious symbols” ― Jewish skullcaps, Muslim veils of any kind, Sikh Turbans, and large crosses, though not small ones (the government isn’t saying how large is large and how small is small) ― for any government employees, as well as those of public schools, public or subsidized childcare centres, universities, and hospitals. Some of the institutions affected (universities, hospitals, and municipalities) would have the right to exempt themselves from the application of this measure for renewable periods of five years. Others (notably schools) would not. Québec’s “heritage” would also be exempt from this measure ― so the rather conspicuous crucifix hanging in the National Assembly will stay right where it is. (There is no ban on prayer in municipal councils either ― though the government doesn’t even pretend to have a reason for that.)

Many nasty things have been said and will be said about this project. I will say some too here in the coming days. (UPDATE: Come to think of it, I have already been saying nasty things about it in my last post.) But, for the moment, I will start with a constitutional analysis, hopefully a relatively dispassionate one. La Presse has one here, concluding that the constitutionality of the government’s project is “far from certain”; the CBC, after much equivocation, concludes that “[w]hen the debate centres around religion, it’s fair to say the devil is in the details.” For my part though, I see little place for nuance. The ban on “conspicuous” religious symbols is obviously unconstitutional.

There can be no question that it is a breach of the Charter’s guarantee of “freedom of conscience and religion” (s. 2(a)). As Justice Dickson (as he then was) said in R. v. Big M Drug Mart,  [1985] 1 S.C.R. 295,

[t]he essence of the concept of freedom of religion is the right to entertain such religious beliefs as a person chooses, the right to declare religious beliefs openly and without fear of hindrance or reprisal, and the right to manifest religious belief by worship and practice or by teaching and dissemination.

And it does not matter whether some “official” interpretation of a religion says that “conspicuous” symbols are not mandatory. As the Supreme Court held in Syndicat Northcrest v. Amselem, 2004 SCC 47, [2004] 2 S.C.R. 551, if a person sincerely believes that she must wear the veil, or that he must wear the turban, then she or he has a constitutional right to do so.

Like all other Charter rights, the freedom of religion is “subject to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society” (s. 1). This means that restrictions on religious liberty must have some “pressing and substantial” objective, that they must be “rationally connected” to that objective, that they must be as limited as possible to achieve that objective, and that their overall positive effects must outweigh the negative ones. The ban on religious symbols will not pass this test.

The objectives invoked by the Québec government ― the need for common rules, state neutrality, and equality of men and women ― sound important enough. In any case, the Supreme Court has almost always been very deferential to governments at that stage of the test. The same is true of the “rational connection” stage. Yet here already, the government’s case might begin to crumble. It is by no means clear, for instance, how gender equality is served by prohibiting not only the veil (which even Bernard Drainville, the author of the government’s proposals, recognizes isn’t necessarily a symbol of oppression), but also the yarmulke and the turban, or indeed how banning Muslim women from the public service will advance the cause of their equality. Still, it is likely enough that courts will find that these measures are rationally connected at least to the objective of state neutrality, and also to that of having common rules.

The ban will, however, fail the “minimal impairment” stage of the test. Common rules, of course, can be permissive as well as restrictive. A blanket ban on religious symbols is by no means the least restrictive measure that can achieve this aim. As for state neutrality, it is important to note that the government, which bears the burden of proof under s. 1 of the Charter, has no evidence at all of any problems with the neutrality of civil servants or state institutions. (Much like Stockwell Day, who justified the federal government’s “tough on crime” legislative agenda by an alleged increase in “unreported crime,” Mr. Drainville claims that people are too reluctant to report such incidents.) The Supreme Court has sometimes “relied on logic, reason and some social science evidence in the course of the justification analysis” (Harper v. Canada (Attorney General), 2004 SCC 33, [2004] 1 S.C.R. 827, at par. 78), but, as Chief Justice McLachlin wrote in Sauvé v. Canada (Chief Electoral Officer), 2002 SCC 68, [2002] 3 S.C.R. 519, at par. 18, “one must be wary of stereotypes cloaked as common sense, and of substituting deference for the reasoned demonstration required by s. 1.” And the Québec government doesn’t even have the fig leaf of social science evidence which the federal government had in Harper. In addition, the blanket ban proposed by the government is overbroad, because it applies even to state employees who are not in contact with the public or could not be said, by any reasonable person, to represent the authority of the state (say school janitors or hospital cooks). At the same time, the fact that the government is willing to make exceptions for many employees suggests that a blanket ban isn’t actually necessary. In short, I fail to see how the government might succeed in demonstrating that the ban is “minimally impairing” of its employees’ rights.

Finally, when it comes to balancing the salutary and the deleterious effects of the policy, the latter clearly prevail. Because there is no real problem with a lack, or even a perception of a lack, of neutrality in state institutions. Furthermore, because of its patchwork nature, the ban achieves very little, except symbolically. On the other hand, those who challenge it will have no difficulty in demonstrating that its negative effects, notably in forcing people to choose between their faith and their employment ― a choice that will lead to people being forced out of their jobs ― will be considerable.

Thus it is quite clear to me that the ban on state employees wearing religious symbols is an unconstitutional violation of religious freedom. I am also pretty confident that it is a breach of equality rights protected by s. 15 of the Charter, because it has a disproportionate effect on the members of those religions whose symbols are “conspicuous,” which happens to exclude the numerically and politically dominant groups in Québec (the Catholics and the non-religious). Its burden falls squarely on minorities who have faced a history of discrimination, and the courts do not look kindly on such things.

The Québec government insists that it will not use the “notwithstanding” clause if and when it enacts the “Charter of values”, because it is confident that its constitutionality will be upheld. It will not be. Of course not.

UPDATE: Pour ceux qui voudraient lire une analyse en français, je recommande cet article de Radio-Canada explorant la question avec le doyen de la faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa, Sébastien Grammond.

Ceci n’est pas une prière

Le dictionnaire Larousse définit le mot « prière » comme un « [a]cte rituel par lequel on s’adresse à une divinité ou à ses intercesseurs », ou encore comme un « [e]nsemble de formules, en général codifiées, par lesquelles on s’adresse à Dieu ». La Cour d’appel du Québec, elle, a une autre vision des choses. Une prière, nous apprend-elle dans un jugement sorti lundi, Saguenay (Ville de) c. Mouvement Laïque Québécois, 2013 QCCA 936, ça n’a rien à voir avec la religion.

Le litige qui a mené à ce jugement opposait un citoyen de Saguenay, Gilles Simoneau, au maire de la ville, Jean Tremblay, qui ouvre chaque séance du conseil municipal en lisant une prière. D’abord une pratique informelle, la prière est, depuis 2008, encadrée par un règlement municipal. Son texte se veut non-confessionnel, invoquant un « Dieu tout puissant » générique. Le maire Tremblay, cependant, accompagne toujours sa prière de signes de croix. Le règlement prévoit également que la séance du conseil municipal ne commence que deux minutes après la fin de la prière, question de permettre à ceux qui désirent quitter la salle pour ne pas y assister de regagner leur place.

M. Simoneau et le Mouvement laïque québécois (MLQ) se sont adressés au Tribunal des droits de la personne du Québec, alléguant notamment que la prière étant une violation du devoir de neutralité des autorités municipales et, partant, de la liberté de religion et du droit à l’égalité de M. Simoneau protégés par la Charte (québécoise) des droits et libertés de la personne. Fait à noter, ils n’ont pas contesté la constitutionnalité du règlement qui encadre la prière. Le Tribunal leur a donné raison, et la municipalité et le maire ont fait appel.

(La plainte de M. Simoneau et du MLQ concernait aussi la présence de signes religieux dans les salles où se réunit le conseil municipal. La Cour conclut que le Tribunal des droits de la personne n’avait pas compétence pour se prononcer là-dessus, et je n’en parlerai pas davantage, pour ne pas alourdir un billet de toute façon beaucoup trop long.)

Les motifs de la Cour d’appel sur la question de la prière sont unanimes. La Cour écarte tout d’abord la preuve d’expert sur laquelle s’est largement appuyé le Tribunal des droits de la personne, statuant que l’expert de M. Simoneau et du MLQ a manqué d’impartialité, étant à l’époque un vice-président du MLQ et ayant affiché des positions extrêmement tranchées sur les questions de la la laïcité. La Cour choisit plutôt de s’appuyer sur l’expertise présentée par les appelants.

Quant au fond de la cause, la Cour statue que la prière ne porte pas atteinte aux droits de M. Simoneau. La neutralité religieuse de l’État n’exige pas, selon elle, l’évacuation de toute manifestation religieuse de l’espace public, du moins lorsque la manifestation religieuse en question est aussi une forme d’héritage culturel, que l’État se doit de protéger. Car ce qui était autrefois manifestement religieux et confessionnel peut être devenu aujourd’hui une partie de notre paysage culturel, symbolique (telle la croix sur le drapeau du Québec) ou même du paysage au sens littéral (telle la croix du Mont-Royal).

Certes, l’État ne doit pas imposer une conviction religieuse aux citoyens. Cependant, « les changements sociaux [tels que la séparation progressive de l’Église et de l’État] s’étudient dans le respect des valeurs et de la tradition politique de la société dans laquelle ils surviennent » (par. 66). Si documents constitutionnels et quasi-constitutionnels sont des « arbres vivants », c’est qu’ils ont des racines historiques et culturelles dont on ne saurait les couper. « En ce sens, la neutralité absolue de l’État ne […] semble pas envisageable d’un point de vue constitutionnel » (par. 68), pas plus que la « laïcité intégrale ».

Selon la Cour, qui s’appuie largement sur l’interprétation proposée par les experts des appelants (et qui rejette celle à la fois des intimés et du maire Tremblay lui-même) la prière que prononce le maire est une manifestation essentiellement culturelle.

[L]es valeurs exprimées par la prière litigieuse sont universelles et qu’elles ne s’identifient à aucune religion en particulier. … [C]ette prière est conforme à une doctrine théiste moderne, ouverte à certains particularismes religieux non envahissants et raisonnables.

Elle est aussi similaire à la prière prononcée à l’ouverture des séances de la Chambre des communes et celle d’un conseil municipal ontarien approuvée par la Cour supérieure de l’Ontario dans Allen v. Renfrew (Corp. of the County), 69 OR (3d) 742; 117 CRR (2d) 280. La Cour conclut qu’

[u]ne personne raisonnable, bien renseignée et consciente des valeurs implicites qui sous-tendent ce concept ne pourrait en l’espèce accepter l’idée que l’activité étatique de la Ville, du fait de cette prière, était sous une influence religieuse particulière.

Dans une sorte d’obiter, la Cour n’en déplore pas moins « l’attitude du maire de la Ville appelante à l’égard de la prière et de ses déclarations publiques intempestives concernant sa foi » (par. 147), notamment le fait qu’il accompagne sa prière d’un signe de croix qui, contrairement au texte de la prière, est manifestement confessionnel, et « qui remet en cause, du moins en apparence, la neutralité religieuse de la Ville et de celle de ses représentants » (par. 150).

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Ce n’est pas le seul à qui on peut faire des reproches. Les demandeurs (ou leurs avocats) ont mal organisé leur contestation, notamment en omettant de contester la constitutionnalité du règlement encadrant la prière et en retenant les services d’un expert potentiellement biaisé (et aux qualifications académiques modestes). Mais, surtout, c’est la Cour elle-même qui paraît mal dans cette affaire. Son jugement est très faible, tant sur le plan de la technique juridique qu’au niveau des principes.

Au niveau de la technique, le traitement de la preuve par la Cour ― son rejet de l’expertise présentée par les intimés, sur laquelle s’était appuyé le tribunal des droits de la personne, et son acceptation des prétentions des experts des appelants ― me paraît très douteux. Un tribunal qui siège en révision judiciaire ne peut normalement ré-évaluer la preuve de cette façon. Certes c’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’appliquait aux questions juridiques en cause, mais l’appréciation de la preuve relève néanmoins du tribunal administratif, en l’occurrence le Tribunal des droits de la personne. Sa décision ne peut être écartée que si elle est déraisonnable, et la Cour, selon moi, ne démontre pas qu’elle l’est, du moins en ce qui concerne l’expertise des appelants. Cette expertise souffre d’ailleurs d’un sérieux problème que la Cour passe sous silence, en ce que les passages cités dans le jugement me semblent proposer des conclusions juridiques (quant à la conformité de la prière à la Charte) qu’un expert doit se garder de formuler, puisqu’il s’agit du domaine réservé au juge.

Ce qui est plus grave, toutefois, c’est que le jugement ne discute ni de l’arrêt de principe de la Cour suprême sur la liberté de religion en général et la neutralité de l’État en particulier, R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 ni d’un important arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario sur la question de la prière dans les écoles, Zylberberg v. Sudbury Board of Education, 65 OR (2d) 641; 52 DLR (4th) 577. (Il est, selon moi, remarquable, et déplorable, que les intimés n’aient pas fait allusion à cet arrêt dans leur mémoire. Du mauvais travail des avocats ― ce qui n’excuse pas pour autant le silence de la Cour.) La Cour s’appuie aussi sur des jugements concordants et des obiters dans d’autres arrêts, sans pour autant discuter des éléments essentiels de cette jurisprudence (c’est le cas, notamment, de l’arrêt Freitag v. Penetanguishene (Town), 47 OR (3d) 301; 179 DLR (4th) 150.

Or, une réflexion sur la portée de cette jurisprudence aurait permis à la Cour de mieux apprécier les principes en cause. De se rappeler que, comme le dit la Cour suprême dans Big M, et comme le rappelle la Cour d’appel de l’Ontario dans Freitag, une atteinte à la liberté religieuse (ou à tout autre droit) peut résulter non seulement de l’effet, mais aussi de l’objectif d’une mesure gouvernementale, si bien que les intentions manifestement religieuses du maire Tremblay sont pertinentes et même décisives dans ce litige. De se rappeler aussi, comme dit toujours la Cour suprême dans Big M, que l’objectif d’une mesure gouvernementale ne peut pas changer ― une mesure adoptée pour des motifs religieux demeure religieuse. De comprendre que, comme le souligne la Cour d’appel de l’Ontario dans Zylberberg, une prière récitée par les représentants de l’État impose bel et bien la croyance à des non-croyants, et qu’avoir à quitter une salle où un représentant de l’État prie dans l’exercice de ses fonctions, c’est être contraint à manifester son incroyance. De réaliser que, comme l’a rappelé la Cour d’appel de l’Ontario dans Zylberberg et Freitag, l’histoire, la tradition, n’est pas une justification adéquate en droit constitutionnel canadien, et que même les pratiques historiquement ancrées doivent être évaluées à la lumière d’une compréhension moderne des principes en cause. (À cet égard, le fait que la Cour s’appuie sur une décision de la Cour suprême des États-Unis justifiant la constitutionnalité d’une prière dans une assemblée législative par la compréhension de la liberté religieuse qui prévalait en 1787 est choquant. Cette approche a systématiquement été rejetée en droit canadien.)

Il ne s’agit pas pour autant d’évacuer la religion de l’espace public au nom d’une supposée « laïcité intégrale ». Il n’est certes pas question de retirer la croix du drapeau du Québec (ou de celui de six autres provinces canadiennes). Cependant, entre un drapeau qui est véritablement l’artefact du passé et une prière renouvelée chaque jour il y a toute une différence. J’ai soutenu, l’an dernier, que la neutralité de l’État n’exigeait pas qu’on force les fonctionnaires à cacher leur appartenance religieuse. Or, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Le maire Tremblay est effectivement libre de se proclamer chrétien sur la place publique. Il ne s’ensuit pas qu’il l’est d’invoquer Dieu dans l’exercice de ses fonctions (voir, à ce sujet, Freitag, au par. 12), pas plus que, disons, une juge, si elle est libre de porter le hijab, ne l’est de dire à un justiciable qu’elle rend justice au nom d’Allah.

Au delà, cependant, des principes juridiques et philosophiques, la décision de la Cour défie la langue française et la logique. Prétendre qu’une prière invoquant « Dieu tout puissant » n’est pas un acte religieux qui va directement à l’encontre de la neutralité de l’État, alors que même les experts des appelants la décrivent comme « théiste », c’est surréaliste, idiot ou hypocrite.

Il ne reste qu’à espérer une intervention de la Cour suprême dans ce dossier. (Je ne sais pas, cependant, si M. Simoneau et le MLQ ont l’intention de s’adresser à elle.) Ce gâchis mérite un gros benchslap.

The Fantasy of State Neutrality

This is a translation of my op-ed that that was published yesterday on the website of La Presse.

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The Parti Québécois proposes, if it wins the elections, to enact a « Charte de la laïcité » (Charter of secularism) for Québec. This charter would, among other things, prohibit civil servants from  wearing “ostentatious religious symbols.” This prohibition would, to be sure, be motivated by a noble principle, the neutrality of the state. But it is not the right means to realise this principle, and is discriminatory.

Let us grant, first, that the state has a duty of neutrality; that is, it may not grant privileges or favours to a group of its citizens that it does grant to others.

Let us grant, too, that this duty of neutrality applies not only to the contents of legislation but also to its administration. This means that civil servants and other state agents, entrusted with the application of laws, must act impartially, without favouring one citizen over another, including on the basis of his or her belonging to any group, whether religious, ethnic, or other.

Let us grant, finally, that the administration of the law must not only be neutral but also appear to be neutral. It is not enough for a civil servant’s decision to actually be neutral. It is also necessary that a citizen, at least a well-informed and objective citizen, have no reason to doubt the decision’s neutrality.

The prohibition of ostentatious religious symbols would aim at ensuring the appearance of civil servants’ neutrality. At work, at the moment of applying the law, civil servants represent the state rather than the religious groups to which they belong in private life. If they are allowed to identify with members of particular religious groups, do they not risk favouring their co-religionists? Do they not, above all, risk provoking, among the citizens they serve, a reasonable apprehension of bias?

No. The worry that, for example, a civil servant wearing the headscarf will fail to discharge her duty of neutrality is neither objective nor reasonable. The idea that the physical appearance of civil servants must be neutralized in order that they may exercise their functions impartially belongs to the realm of fantasy or hypocrisy. A person’s physical appearance usually reveals his or her belonging to all manner of groups: to a gender, to a race, to a certain age group. We would not think of imposing the burqa as the uniform for civil servants (male as well as female of course) in order to avoid letting citizens know whether they are served by a man or a woman, a White or a Black, a youth or an old person.

We know that the civil servant, the police officer, the judge whom we face belongs to one or many such groups. Yet we ought, as citizens, expect them to act in good faith and with neutrality.

Religious belonging is not different from other forms. It is, sometimes, easily identifiable. But it is no more reasonable to doubt the impartiality of a civil servant who wears a headscarf for the sole reason that she is Muslim than it would be to doubt her impartiality because she is a woman. Prohibiting civil servants from wearing religious symbols is irrational.

It is also discriminatory. Not only does it discriminate between religions, since some religions – including that of the majority of Quebeckers – do not require believers to wear religious symbols of the sort that is now sought to be banned. It also discriminates between members of the same religious group, in the case of religions, such as Islam and Judaism, which impose the wearing of ostentatious religious symbols on one gender but not the other. Thus a prohibition proposed out of a concern for neutrality and equality between men and women would prevent Muslim women, but not Muslim men, from serving the Québec state.

The ban on ostentatious religious symbols in the civil service would be irrational and unjust. It would be a simplistic measure, favouring appearances at the detriment of a real equality and a true concern for living together.

The Good of Religion

Yesterday I attended a discussion with Robert P. George, the Professor of Jurisprudence at Princeton (which of course does not have a law school!) and one of the leading religious conservative public intellectuals in the United States. The topic was “Religious Liberty and the Human Good.” David Blankenhorn – perhaps best known recently as a failed would-be expert in the trial on the constitutionality of Proposition 8, which attempted to change California’s constitution to prohibit same-sex marriage – was the host. He is clearly smarting from the Prop 8 experience, and took some shots at President Obama along the way, but it was quite interesting nonetheless, so here’s a recap.

According to prof. George, freedom of religion is valuable for two reasons.

The less important one is that it allows the existence of organizations that provide all sorts of important social services and are authority structures that act as a buffer between the state and the individual, so that the state does not become the only source of authority. Religious organizations help prevent tyranny, which the judiciary alone is not able to do. For my part, I do not find this persuasive. There are many alternative power centres (the press and NGOs for example) and networks (online social networks for example). Religious structures are, at most, some of many, and perhaps not the best candidates as oppression-resisters (the Catholic church, for example, has a long record of collaboration with temporal powers, as well as one of resistance to them). And of course religious structures can be oppressive in their own right – though they need not be.

The more important reason why freedom of religion is important is that it serves what prof. George called “the good of religion” – that is the human ability to ask, and answer for oneself, fundamental questions about human nature, life, mortality, free will, etc. A life spent without thinking about these questions is impoverished; and it is important to have one’s own answers to them, and to live with integrity in light of the answers one comes up with. Even if these answers are not “religious” as the term is usually understood – even if they are atheistic for instance – they are worthy of protection, because it is the questioning that constitutes “the good of religion.” That seems exactly right to me, whether or not “the good of religion” is the best name for what prof. George is getting at.

A related term (which I might be more inclined to use instead) is “conscience”. Prof. George defines it as “one’s last best judgment informed by reason, belief, or faith as to what one is required to do or not to do.” Referring to Cardinal Newman’s take on the subject, he insists that it is not “in the business of permissions.”

Mr. Blakenhorn brought up the subject of “reason” in religious belief. He is mad at Judge Vaughn Walker, who presided over the trial in the Prop. 8 case, Perry v. Schwarzenegger, for finding that religious motivation could not constitute a “rational basis” for prohibiting same-sex marriage.  Prof. George agrees that religion has an element of reason – we can understand someone acting on his answers to “ultimate questions,” for instance – and argues that Judge Walker has an impoverished, “fideistic” view of religion as consisting only of faith, without a rational element. But it seems to me that the important question here, which he did not get into at all, is whether religious reason can count as a valid one for public law purposes. Even if we agree – as I do – that a person acting on religious (or conscientious) beliefs is not acting irrationally, it is a different matter whether the state (and thus voters) are entitled to act on such reasons – and still a different matter whether they are entitled to act on such reasons only – in making public policy. This is the Rawlsian public reason conundrum, which I cannot possibly get into here (and don’t have firm views about anyway).

Finally, prof. George spoke about religious exemptions – cases where a law that is generally not meant to punish or impede religious belief or practice has that effect on some believers. He thinks that these believers should be exempted from the application of such laws, unless the state can show that not granting the exemption is the least restrictive means of furthering a compelling state objective. There is, however, an interesting question about who – courts or legislatures – should be deciding whether any given case comes satisfies these criteria. That is roughly what I argued in my LL.M. thesis, which was about religious exemptions, so I am glad to have my thoughts confirmed. Now why don’t the law reviews to which I submitted the paper seem interested to publish it?

Laïcité: le diable dans les détails

On a beau défendre la laïcité, le diable reste dans les détails. Un entretien de Radio-Canada sur le sujet de la laïcité avec un philosophe français, Henri Peña-Ruiz, est une bonne occasion pour nous le rappeler.

M. Peña-Ruiz soutient que la laïcité n’est pas hostile à la religion. Elle insiste plutôt pour s’assurer que “la religion n’engage que les croyants.” D’où l’importance de la garder séparée de l’État qui, lui, engage tout le monde. La laïcité exige une “stricte égalité” de traitement entre croyants et non-croyants. Donc “pas de privilèges, pas de droits spéciaux,” pas d’ “accomodements avec les religions.” Les traditions historiques ou culturelles, qu’on invoque pour défendre la persistence du religieux dans l’espace public ne sont pas de bonnes justifications. Il faut rompre avec le passé et les inégalités, l’oppression qui l’ont caracrtérisé. La place de la religion est donc dans la sphère privée. Si vous priez dans l’intimité de votre maison ou lieu de culte, c’est votre affaire. La sphère publique, quant à elle, doit être indépendente de la religion, de toute religion, de toutes les religions. Le principe de laïcité pourrait faire consensus si on admettait la stricte égalité de traitement.

Ces idées sont, j’ai l’impression, plutôt populaires non seulement en France, mais aussi au Québec. Or, elles sont, au mieux, simplistes, sinon délibérément trompeuses. À écouter M. Peña-Ruiz, on pourrait être porté à croire que la séparation entre le public/laïc et le privé/religieux-pour-qui-le veut est claire et plutôt simple à réaliser. Il n’en est rien. Le slogan “pas de privilèges, pas de droits spéciaux” n’a de sens que si on s’entend sur le sens des concepts de privilège ou de droit spécial, qui sont, en réalité, sujets à controverse.

Pour exiger la séparation entre le public et le privé afin de cantonner le religieux dans l’espace privé, il faut commencer par se faire une idée de ce qui est public et ce qui est privé. Ce n’est pas si simple, comme le démontre la persistance de certaines controverses bien connues. L’habillement d’un employé de l’État, est-ce public ou privé? Et celui d’un élève d’une école publique? Et ce que cet élève porte sous ses vêtements? Privé, dites-vous? Et si c’est un kirpan? À qui revient de définir le public et le privé? Et selon quels critères? Est-ce l’intention qui compte (le crucifix à l’Assemblée nationale se veut un symbole historique et non religieux; un kirpan, un symbole religieux et non une arme)? Ou est-ce plutôt quelque critère objectif? Mais qui est objectif dans ces débats?

Et que signifie le refus d’octroyer des faveurs aux religions? Quand une règle apparemment neutre a un effet disproportionné sur les adeptes d’une religion particulière (comme les règles sur l’abattage d’animaux ont sur les Juifs et les Musulmans), est-ce favoriser leur religion que de les exempter de son application, ou est-ce plutôt rétablir une égalité que la règle rompt? Ça dépend de notre définition d’égalité, et bien sûr, c’est un sujet d’intenses débats, pas seulement dans le contexte du traitement réservé aux religions. Quand l’État finance les écoles religieuses (qui dispensent aussi les cours requis par le gouvernement) comme il finance, aux mêmes conditions, les écoles privées laïques, favorise-t-il la religion en rendant l’éducation religieuse plus accessible ou ne fait-il que traiter équitablement les groupes privés peu importe leur appartenance religieuse? La encore, on peut donner différentes réponses à la question.

Je pourrais continuer longtemps – mon mémoire de maîtrise porte justement sur la question d’exemptions, et il fait plus de 40 pages à interligne simple. Mais dans ce billet, je veux simplement insister sur le fait que la simplicité des thèses qu’on lance souvent en parlant de laïcité est trompeuse, qu’elle cache beaucoup de questions difficiles, et qu’elle peut servir d’outil rhétorique pour masquer la mauvaise foi trop souvent présente dans ces débats. On peut vouloir sortir Dieu de l’espace public, mais il faut se rendre compte qu’on ne saurait sortir le diable des détails.